Conférence " Play it again, Serious Sam ! " de Philippe Bettinelli, 2015
En détournant les codes et les règles des jeux vidéo, ces dix créateurs abordent des problématiques existentielles, politiques ou simplement esthétiques. Au-delà de leur apparente simplicité, ces dix jeux expérimentent une forme d’interactivité artistique. Le Collectionneur Moderne tient à remercier Philippe Bettinelli, dont la conférence (« Play it again, Serious Sam ! » Jeu vidéo et art contemporain à l’École du Louvre, le 03/12/15) a permis de découvrir ces œuvres.
Alors que les expositions sur le jeu vidéo se multiplient, oscillant entre nostalgie et légitimation du jeu vidéo comme nouveau médium artistique autonome, cette conférence se propose d'aborder les rapports entretenus entre le jeu vidéo et le monde de l'art contemporain. Il s'agira d'essayer de comprendre, par l'étude de jeux expérimentaux souvent réalisés par des artistes plasticiens, comment se constitue depuis quelques années un champ d'action transversal qui, en marge des modes de production et de diffusion de l'industrie vidéoludique, explore de manière souvent irrévérencieuse les particularités et les limites de ce nouveau moyen d'expression.
Philippe Bettinelli est gamer et conservateur du patrimoine responsable de la collection art public au Centre National des Arts Plastiques. ll déjà donné des conférences sur ce thème, notamment : « Jeu vidéo et art contemporain " dans le cadre du cours d’été « Faites vos jeux » à l’Ecole du Louvre en juillet 2013.
1. SOCIAL
MARTIN LE CHEVALLIER, Vigilance 1.0, 2001
Né en 1968, le français Martin Le Chevallier mène un travail protéiforme sur des problématiques politiques et sociales, telles que l’emploi ou la sécurité.
Dans Vigilance 1.0, le joueur n’a qu’une action possible : dénoncer. Il distingue mal les malfaiteurs des honnêtes citoyens et n’apprend qu’après coup s’il a décelé une infraction ou diffamé un innocent.
2. POLITIQUE
DOUGLAS EDRIC STANLEY, Invaders!, 2008
Artiste d’origine américaine, Douglas Edric Stanley dirige l’Atelier Hypermédia à l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence et mène divers autres travaux sur les algorithmes et le code comme matériaux plastiques.
Invaders! combine le principe du jeu Space Invaders (une inexorable invasion d’aliens) avec une image des Twin Towers. De virulents détracteurs aux États Unis ont malheureusement mal compris cette œuvre, qui dénonce l’inadaptation de la stratégie militaire américaine au lendemain du 11 septembre.
3. MINIMALISTE
CORY ARCANGEL, Super Mario Clouds, 2002
Né en 1978, Cory Arcangel est un artiste et musicien new-yorkais qui s’est fait connaître en manipulant des cartouches du jeu Super Mario Bros sur console NES (Nintendo).
Sa version minimaliste, Super Mario Clouds, est une modernisation extrême de la peinture de paysage ! Débarrassé de tous les éléments graphiques, il ne reste que le fond bleu sur lequel défilent des nuages. Dans Totally Fucked (2003), le petit plombier est coincé sur une plateforme sans issue et Super Mario Movie (2005) est une réinterprétation musicale et psychédélique de 15 minutes qu’il a créé avec Paper Rad.
L’artiste met son code à disposition du public, ainsi qu’un manuel d’instructions détaillées pour reproduire ses expériences.
4. EXISTENTIALISTE
JASON ROHRER, Passage, 2007
Jason Rohrer est un programmeur, écrivain et musicien américain né en 1977. Il s’impose des règles de vie drastiques selon un modèle de « simplicité volontaire » et publie ses œuvres dans le domaine public ou sous la licence publique générale. Le jeu Passage est en téléchargement libre sur son site.
Souvent courts, ses jeux réduisent au minimum les mécanismes de jouabilité. Dans une fenêtre de 16 x 100 pixels, Passage simplifie en 5 minutes le cheminement d’une vie, avec un seul enjeu : se diriger vers la mort.
5. MILITANT
JOSEPH DE LAPPE, Dead in Iraq, 2006
Joseph DeLappe est professeur en art numérique à l’Université du Nevada. Ses travaux l’amènent à réaliser régulièrement des performances artistiques sur des jeux en réseau.
Entre 2006 et 2011, sous l’avatar dead-in-iraq, il a réalisé une performance mémorielle sur un jeu de recrutement de l’armée américaine : America’s Army.
Commençant chaque partie par jeter son arme, il aura posté au total les noms, âge et date de décès de 4484 soldats américains victimes de la guerre en Iraq. Une action disruptive et pacifiste qui suscite immanquablement des réactions chez les autres joueurs.
6. INTROSPECTIF
ALAN KWAN, Bad Trip, 2011
Alan Kwan est un artiste américain né en 1990 qui travaille, à la confluence des médias, sur le thème récurent de la réalité virtuelle.
Dans Bad Trip, il propose au public de s’introduire dans son cerveau. Filmées avec une mini-caméra embarquée sur ses lunettes, des images de sa vie courante – qu’il renouvelle quotidiennement – s’insèrent dans un monde onirique inspiré de ses rêves.
7. PSYCHOLOGIQUE
EDDO STERN, Waco Resurrection, 2003
Né à Tel Aviv et basé en Californie, Eddo Stern nous propose avec Waco Resurrection d’incarner l’épouvantable gourou David Goresh au moment de l’assaut sanglant qu’a mené le FBI contre sa secte en 1993 et qui a coûté la vie à 82 illuminés. Une voix off nous oblige à partager l’introspection du psychopathe, obsédé par des visions apocalyptiques et des théories du complot.
8. PRÉCURSEUR
ORHAN KIPCACK, Ars Doom, 1995
En 1995, Orhan Kipcak et Reini Urban présentent ArsDoom au festival Ars Electronica de Linz. C’est l’une des premières expériences artistiques de détournement de jeu vidéo.
À partir de l’univers de Doom II – « first person shooter » de 1994 – l’artiste propose une expérience virtuelle d’iconoclasme. Le joueur peut détruire à l’envi des tableaux numériques (créés spécialement par des artistes compréhensifs), ou tuer tout bonnement leur auteur.
9. SUBVERSIF
HUNTER JONAKIN, Jeff Koons must die !!!, 2011
Avec Jeff Koons must die, le plasticien de Minneapolis Hunter Jonakin remet au goût du jour le principe de ArsDoom avec une victime moins consentante : « Que feriez-vous si vous étiez enfermés toute une nuit dans une rétrospective de Jeff Koons avec un lance-roquettes ? »
L’œuvre est exposée sous forme d’arcade – 25 cents la partie – mais le jeu peut également être téléchargé sur le site de l’artiste : un exutoire iconoclaste et polémique proposé à 5 dollars.
10. EXTRÊME
/////////FUR////, PainStation, 2002
Le projet //////////fur//// est défini par ses fondateurs, les allemands Tilman Reiff et Volker Morawe, comme une « Art Entertainment Interface. »
Avec PainStation, leur installation revisite le fameux jeu Pong avec un certain sadisme. Le joueur doit placer sa main gauche sur un PEU (Pain Execution Unit) qui l’électrocute, le chauffe ou le fouette en fonction de ses actions, le forçant à adapter instinctivement son jeu.