Le musée comme organisme vivant
A voir les créations dans le flux du réseau, le principe d’un musée virtuel résonne de la nature fractale de la notion de temps. C’est à dire qu’elle est à la fois un invariant et se modifie en fonction des échelles auxquelles on l’envisage. Ipotêtu implique le sentiment de dilatation, de contraction, de proximité ou d’éloignement éprouvé. Souvenir vécu, écriture du passé, immédiateté d’une cohorte d’élèves ou long cours de l’institution, gestation de l’œuvre ou sa continuité, les temporalités s’emboîtent ici comme des matriochkas.
Le projet repose sur un concept qui nous est familier : le musée. Ici virtuel, il est pensé comme carrefour des existences du collège, une condensation de ces périodes enchâssées les unes dans les autres. Sans revenir sur la distinction entre mémoire (un vécu évolutif, souvenir partiel, pluriel) et histoire (un savoir à distance, censé être objectif, au moins critique), largement débattue par l’historiographie contemporaine (2), le projet artistique creuse un sillon entre le champ de la perception sensible, du faire instinctif et celui de l’intelligibilité, du savoir constitué. Le système du musée serait ainsi le « lieu » permanent, ouvert mais à fonction dédiée, où convergent ces manières de percevoir et de faire, sous la forme d’une collection d’œuvres réalisées dans l’épreuve du tangible.
L’étymologie du mot n’est pas anodine. Dans le temple dédié à leur culte, les muses – filles de Zeus et Mnémosyne – sont les médiatrices de la pratique de l’histoire, des formes de poésie lyrique, épique, la musique, la danse, l’astronomie, la rhétorique, etc. Au croisement de l’art comme expérience active et du savoir comme maïeutique de la pensée.
Cette double orientation est manifeste dans le Museion d’Alexandrie, forme archétypale de ce qui deviendra le musée occidental, avec une ambition plus large encore. Elaboré sur l’exemple de l’Académie de Platon et du Lycée d’Aristote, il est un précipité de l’idée d’exemplarité, de conservation et de connaissance. S’il n’est pas le seul établissement de ce type dans la Grèce antique, le museion est l’un des plus importants et agrège temple des muses, lieu de recherche, bibliothèque, jardin botanique, observatoire astronomique, institut d’anatomie, collections d’objets – ce dernier volet étant alors marginal. Il est déjà ce qui définit encore la notion de patrimoine : le lieu d’une rencontre possible entre passé, présent et futur. Les contemporains ne s’y trompent pas, qui voient le projet – hautement politique dans le contexte antique – tel un organisme vivant, susceptible d’évolution. Plasticité à même de retenir le legs, nourrir l’œil et l’esprit, pour imaginer l’avenir. Courroie de transmission pour comprendre et agir.