Introduction
Cyberféminismes francophones passées, présentes, futures.
Par cyberféminismes nous faisons référence à un ensemble de pratiques activistes et/ou artistiques féministes en lien avec le questionnement des technologies qui s'est déployé depuis les années 90 jusqu'à nos jours. À l’aube d’Internet, les possibilités en matière de confidentialité, de formes de représentation et de construction d’un ensemble d’identités connectées étaient bien différentes d’aujourd’hui. Le cyberespace était alors vu comme un territoire vierge qui allait permettre à chacune de s’exprimer, de communiquer et d’entretenir des rapports avec les autres, sans avoir à subir le poids des préjugés et des stéréotypes liés au genre, à l’âge, à l’origine ethnique, à l’orientation sexuelle, etc. C'est pour cela que ce nouveau territoire devient un terrain de jeu et d'expérimentation pour de nombreuses féministes qui ont entrevu de nouvelles perspectives d’émancipation sur Internet pour les femmes, les dissidentes du genre et, plus généralement, les communautés marginales ou marginalisées.
Depuis l'avènement de l'internet et des TIC numériques, les féministes continuent à s'en servir comme instruments d’organisation politique, économique et productive, mais aussi comme supports pour le développement de leur identité et la création de nouvelles communautés féministes. Le cyberféminisme, se pose en moteur de développement et de façonnage de l'internet et crée de nouveaux espaces de participation sur plusieurs fronts : cyberactivisme social, médiactivisme, artivisme et hacktivisme, qui sont tous intimement liés et permettent de multiplier le nombre de sphères d’action et de transformation sur Internet.
En premier lieu, les cyberféministes participent au travail pour plus d’émancipation et pour pouvoir non seulement accéder aux TIC mais pouvoir aussi se les approprier en contribuant à leur développement et maintien. Ensuite, elles partagent une même critique du modèle hégémonique (technologique) hétéro-patriarcal-capitaliste, et un désir de transformer les relations de genre et les technologies, en vue d’une plus grande justice sociale. Tout ceci implique un travail actif de veille pour analyser et comprendre comment le développement et déploiement des TICs peuvent impliquer des nouvelles formes de discrimination, oppression et/ou violences envers d'autres personnes, collectifs et/ou espèces non humaines. Enfin, elles revendiquent la construction d’un Internet libre, sûr, décentralisée et accessible à toutes et tous, et veulent réorienter le développement technologique vers des technologies plus justes, féministes et décoloniales qui puissent être (re)prises en main et encouragent l’autonomie et la souveraineté des personnes qui les utilisent, les développent et les entretiennent.
A noter qu'il existe diverses écoles cyberféministes, certaines aux finalités plus artistiques et d'autres aux finalités plus sociales. Le cyberféminisme artistique prend Internet et/ou les nouvelles technologies numériques comme son principal espace d'expérimentation et de création artistique, le cyberféminisme social considère ces espaces comme des terrains d'action politiques permettant de renforcer les processus de mobilisation, engagement et déploiement des agendas féministes luttant pour plus d'égalité des droits et opportunités. Le cyberféminisme artistique peut aussi partager les mêmes finalités politiques que le cyberféminisme social.
Il est aussi important de noter que des féministes qui s'intéressent et travaillent activement avec internet et les TIC et mettent leurs connaissances et compétences techniques au services d'autres luttes ou agendas féministes peuvent ne pas se définir comme cyberféministes. Certaines considèrent que ce terme est dépassé et est spécifiquement lié au moment historique dans lequel internet était encore une potentialité en devenir, d'autres peuvent l'associer à un type de féminisme blanc spécifique aux pays où il y a eu un développement précoce d'internet, finalement d'autres peuvent considérer que le terme cyberféminisme est un terme parapluie dans lequel on peux ranger diverses traditions et écoles régionales (cyberféminisme anglosaxon, latino et finalement francophone) qui font avant tout référence à une appropriation critique et politiques de l'internet et les TIC de la part de féministes.
Finalement, partant de la reconnaissance que le terme n'est pas universellement accepté et ne connaît pas une seule définition, nous voudrions souligner que toutes les traditions ou scènes cyberféministes n'ont pas été documentées de la même façon. Actuellement, nous pouvons considérer que les cyberféminismes anglo-saxon et latino sont plutôt bien documentés, mais nous sentons qu'il manque une mise en commun et un approfondissement sur les expériences et trajectoires cyberféministes en territoires francophones.