Savoirs ludiques
Expériences de création et d'utilisation de jeux vidéo pour acquérir des connaissances artistiques et une culture disciplinaire, ou inter-disciplinaire, spécifique
- Ensemble de ressources numériques autour des musiques
- Féminisme et jeux-video
- Women in Games France - Pour plus de femmes dans le Jeu
- T.I.N.A. : Ecrire un personnage non stéréotypé
- jeux vidéos & game art - références
- Conférence "Réalités ludiques" de Douglas Edric Stanley, 2019
- Conférence " Play it again, Serious Sam ! " de Philippe Bettinelli, 2015
- "Déjouer le jeu. Réappropriation et détournement de l'univers de jeux vidéo dans la création contemporaine" de Margherita Balzerani, 2006
- Le tour du monde du jeu vidéo queer, indé et post-colonialiste d’Isabelle Arvers, 2019-2020
- Entretien avec Chloé Desmoineaux | Institut Français - 6 mars 2020
- Chloé Desmoineaux, son autre genre de jeux | poptronics - avril 2020
- Revue IMMERSION - revue sur le jeu vidéo | depuis 2017
- Enjeux de l'art et l'art en jeu
- fête FORAINE | ENIAROF etêf / Annick Rivoire, poptronics 12.05.17
Ensemble de ressources numériques autour des musiques
Outils créés par le POD Pollinisation de l'Antre Peaux (Bourges)
Cartes interactives créer avec mymaps pour explorer l'univers des musiques actuelles, traditionnelles et folkloriques
Carte des musiques actuelles
Carte des musiques traditionnelles et folkloriques
Jeux numériques de médiation artistique (arts visuels et arts de la scène)
Quiz de mise en relation Art contemporain et Musique (sur l’exposition Even the rocks reach out to kiss you)
Jeu sous la forme d’un "Jumanji" (en cours de développement)
https://view.genial.ly/6079bfa33b3de70d3fdeee7b/interactive-content-pod-challenge
Jeu de "mémory sonore" (autour de la programmation des résidences en musiques actuelles à l'Antre Peaux)
https://view.genial.ly/607d76cc619e550d7633ecdf/interactive-content-memory-sonore
+ de ressources par l'Antre Peaux : https://antrepeaux.net/ressources/
Outils en ligne gratuits
Aide à la création de jeu
https://scape.enepe.fr/-aide-a-la-creation-.html
Jeux d'éducation musicale
https://scape.enepe.fr/-les-tresors-.html
Outils ludiques de création musicale
Pattern de batterie en fonction de ce que l’on écrit
Jeux musicaux en tout genre
https://musiclab.chromeexperiments.com/
Radio d’exploration musicale par pays et époques
Carte des musiques actuelles
Pour faire de la MAO (musique assisté par ordinateur)
Logiciel séquenceur
Logiciel modulaire (synthèse fm)
Outils pédagogiques
Jeu pour apprendre la musique de manière cinesthésique
en ligne version démo gratuite
Féminisme et jeux-video
"Pfff... C'est pas un vrai jeu, c'est un truc de fille ça".
La représentation de la Femme dans le Jeu, et la place de la Femme comme joueuse ou comme créatrice...
Il reste du chemin à parcourir.
Women in Games France - Pour plus de femmes dans le Jeu
Women in Games France est une association de professionnel·le·s œuvrant pour la mixité dans l’industrie du jeu vidéo en France. Les moyens d’action de l'association : formation, rencontres, sensibilisation, éducation, entraide. L'Association ouverte à toutes et tous.
L'association organise des conférences et relais des enquêtes aux autres initiatives liées à la place de la femme dans l'industrie du jeu. Ils portent également d'autres valeurs, comme le lutte contre la culture du crunch dans le secteur du jeu vidéo (travailler de -nombreuses- heures avant la publication d'un jeu. Parfois pendant plusieurs mois...)
Il est notamment possible de dialoguer directement avec les membres sur leur discord.
L'association peut également être une ressource pour l'organisation d'évènements plus inclusifs. Par exemple, lors de l'organisation de la game jam HitboxMakers 2021 à Tours (créer des jeux en 48h), certain.e.s membres ont aider l'équipe d'organisation à prendre conscience des obstacles que peuvent rencontrer les filles lors de ces évènements, et donc les concevoir de manière plus accueillante.
T.I.N.A. : Ecrire un personnage non stéréotypé
T.I.N.A. est un expérience narrative créée par deux artistes, Chloé Desmoineaux et Leslie Astier.
C'est un support d'animation sous forme de cartes et d'un guide pour créer des personnages de jeu non stéréotypés L'animation invite à créer un personnage minorisé (féminin, ethnie, handicap...) susceptible d'être représenté de manière caricatural dans le jeu (uniquement par le prisme de cette minorisation, ou par rapport à son "utilité" au joueur) ; mais elle emmène ensuite les participants étoffer le personnage en lui créant une identité, une histoire, des enjeux, des relations, et à lui donner un arc narratif.
Quelques ressources liées à T.I.N.A. :
- Description par Chloé Desmoineaux - lien
- Télécharger le kit - lien
- Évènement à la Gaîté Lyrique en Mai 2019 - lien
jeux vidéos & game art - références
Des références, des conférences et des liens cliquables
Conférence "Réalités ludiques" de Douglas Edric Stanley, 2019
Réalités ludiques
2019.01.31
- Conférence: Réalités ludiques
- Speaker: Douglas Edric Stanley
- Date: Jeudi 31 janvier / 18h30
- Lieu: Cité du livre, Map
- Salle Armand Lunel
- Entrée libre et gratuite
À l'époque du « fake news », des vrais/faux « amis », et des appareils de « réalité augmentée », un autre phénomène contamine de plus en plus notre vie techno-quotidienne : les jeux, et avec eux la proposition d'une couche supplémentaire de réalité ludique.
Autant que l'art, les jeux peuvent proposer des formes à la fois poétiques et aliénantes de la vie, mettre en jeu des formes de cohésion et de désillusion sociale.
Dans cette conférence, Douglas Edric Stanley fait un tour rapide de quelques travaux artistiques qui mettent en scène ces enjeux de réalité ludique.
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Quelques liens des exemples montrées pendant la présentation :
- Douglas Edric Stanley
- abstractmachine.net
- École supérieure d'art d'Aix-en-provence
- HEAD – Genève
- En attendant Godot
- Musée rétrocompatible
- Invaders!
- Time Hue
- A Crossing Industry post:a-crossing-industry
- Game Gazer
- ENIAROF, Guide de bricolage pour fabrication de fêtes foraines numériques
- Exhausting Gameplay
- Github
- Snail Run
- Oko
- Mimicry
- Wrist Watch
- Still Life
- Salone Ludico: Bloodbank, Oniri Islands, Deadline, Penultimo, KBPS, Ximoan, Gravity, Murmures, Democrapcy, Penumbra, Darklight, Massive, A Game of Four Forces
- Pour comprendre les médias
- Final Fantasy IX 50hz|60Hz
- Master of His Virtual Domain
- Pacmanhattan
- Blast Theory
- Pokemon Go Mob
- Jesse Schell, DICE 2010: Design Outside the Box
- Black Mirror, 15 Million Merits
- Mark Zuckerberg Goes to Puerto Rico in Facebook VR Demo
- ENIAROF
- ENIAROF'13
- ENIAROF CAFA
Conférence " Play it again, Serious Sam ! " de Philippe Bettinelli, 2015
En détournant les codes et les règles des jeux vidéo, ces dix créateurs abordent des problématiques existentielles, politiques ou simplement esthétiques. Au-delà de leur apparente simplicité, ces dix jeux expérimentent une forme d’interactivité artistique. Le Collectionneur Moderne tient à remercier Philippe Bettinelli, dont la conférence (« Play it again, Serious Sam ! » Jeu vidéo et art contemporain à l’École du Louvre, le 03/12/15) a permis de découvrir ces œuvres.
Alors que les expositions sur le jeu vidéo se multiplient, oscillant entre nostalgie et légitimation du jeu vidéo comme nouveau médium artistique autonome, cette conférence se propose d'aborder les rapports entretenus entre le jeu vidéo et le monde de l'art contemporain. Il s'agira d'essayer de comprendre, par l'étude de jeux expérimentaux souvent réalisés par des artistes plasticiens, comment se constitue depuis quelques années un champ d'action transversal qui, en marge des modes de production et de diffusion de l'industrie vidéoludique, explore de manière souvent irrévérencieuse les particularités et les limites de ce nouveau moyen d'expression.
Philippe Bettinelli est gamer et conservateur du patrimoine responsable de la collection art public au Centre National des Arts Plastiques. ll déjà donné des conférences sur ce thème, notamment : « Jeu vidéo et art contemporain " dans le cadre du cours d’été « Faites vos jeux » à l’Ecole du Louvre en juillet 2013.
1. SOCIAL
MARTIN LE CHEVALLIER, Vigilance 1.0, 2001
Né en 1968, le français Martin Le Chevallier mène un travail protéiforme sur des problématiques politiques et sociales, telles que l’emploi ou la sécurité.
Dans Vigilance 1.0, le joueur n’a qu’une action possible : dénoncer. Il distingue mal les malfaiteurs des honnêtes citoyens et n’apprend qu’après coup s’il a décelé une infraction ou diffamé un innocent.
2. POLITIQUE
DOUGLAS EDRIC STANLEY, Invaders!, 2008
Artiste d’origine américaine, Douglas Edric Stanley dirige l’Atelier Hypermédia à l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence et mène divers autres travaux sur les algorithmes et le code comme matériaux plastiques.
Invaders! combine le principe du jeu Space Invaders (une inexorable invasion d’aliens) avec une image des Twin Towers. De virulents détracteurs aux États Unis ont malheureusement mal compris cette œuvre, qui dénonce l’inadaptation de la stratégie militaire américaine au lendemain du 11 septembre.
3. MINIMALISTE
CORY ARCANGEL, Super Mario Clouds, 2002
Né en 1978, Cory Arcangel est un artiste et musicien new-yorkais qui s’est fait connaître en manipulant des cartouches du jeu Super Mario Bros sur console NES (Nintendo).
Sa version minimaliste, Super Mario Clouds, est une modernisation extrême de la peinture de paysage ! Débarrassé de tous les éléments graphiques, il ne reste que le fond bleu sur lequel défilent des nuages. Dans Totally Fucked (2003), le petit plombier est coincé sur une plateforme sans issue et Super Mario Movie (2005) est une réinterprétation musicale et psychédélique de 15 minutes qu’il a créé avec Paper Rad.
L’artiste met son code à disposition du public, ainsi qu’un manuel d’instructions détaillées pour reproduire ses expériences.
4. EXISTENTIALISTE
JASON ROHRER, Passage, 2007

Jason Rohrer est un programmeur, écrivain et musicien américain né en 1977. Il s’impose des règles de vie drastiques selon un modèle de « simplicité volontaire » et publie ses œuvres dans le domaine public ou sous la licence publique générale. Le jeu Passage est en téléchargement libre sur son site.
Souvent courts, ses jeux réduisent au minimum les mécanismes de jouabilité. Dans une fenêtre de 16 x 100 pixels, Passage simplifie en 5 minutes le cheminement d’une vie, avec un seul enjeu : se diriger vers la mort.
5. MILITANT
JOSEPH DE LAPPE, Dead in Iraq, 2006
Joseph DeLappe est professeur en art numérique à l’Université du Nevada. Ses travaux l’amènent à réaliser régulièrement des performances artistiques sur des jeux en réseau.
Entre 2006 et 2011, sous l’avatar dead-in-iraq, il a réalisé une performance mémorielle sur un jeu de recrutement de l’armée américaine : America’s Army.
Commençant chaque partie par jeter son arme, il aura posté au total les noms, âge et date de décès de 4484 soldats américains victimes de la guerre en Iraq. Une action disruptive et pacifiste qui suscite immanquablement des réactions chez les autres joueurs.
6. INTROSPECTIF
ALAN KWAN, Bad Trip, 2011
Alan Kwan est un artiste américain né en 1990 qui travaille, à la confluence des médias, sur le thème récurent de la réalité virtuelle.
Dans Bad Trip, il propose au public de s’introduire dans son cerveau. Filmées avec une mini-caméra embarquée sur ses lunettes, des images de sa vie courante – qu’il renouvelle quotidiennement – s’insèrent dans un monde onirique inspiré de ses rêves.
7. PSYCHOLOGIQUE
EDDO STERN, Waco Resurrection, 2003
Né à Tel Aviv et basé en Californie, Eddo Stern nous propose avec Waco Resurrection d’incarner l’épouvantable gourou David Goresh au moment de l’assaut sanglant qu’a mené le FBI contre sa secte en 1993 et qui a coûté la vie à 82 illuminés. Une voix off nous oblige à partager l’introspection du psychopathe, obsédé par des visions apocalyptiques et des théories du complot.
8. PRÉCURSEUR
ORHAN KIPCACK, Ars Doom, 1995
En 1995, Orhan Kipcak et Reini Urban présentent ArsDoom au festival Ars Electronica de Linz. C’est l’une des premières expériences artistiques de détournement de jeu vidéo.
À partir de l’univers de Doom II – « first person shooter » de 1994 – l’artiste propose une expérience virtuelle d’iconoclasme. Le joueur peut détruire à l’envi des tableaux numériques (créés spécialement par des artistes compréhensifs), ou tuer tout bonnement leur auteur.
9. SUBVERSIF
HUNTER JONAKIN, Jeff Koons must die !!!, 2011
Avec Jeff Koons must die, le plasticien de Minneapolis Hunter Jonakin remet au goût du jour le principe de ArsDoom avec une victime moins consentante : « Que feriez-vous si vous étiez enfermés toute une nuit dans une rétrospective de Jeff Koons avec un lance-roquettes ? »
L’œuvre est exposée sous forme d’arcade – 25 cents la partie – mais le jeu peut également être téléchargé sur le site de l’artiste : un exutoire iconoclaste et polémique proposé à 5 dollars.
10. EXTRÊME
/////////FUR////, PainStation, 2002
Le projet //////////fur//// est défini par ses fondateurs, les allemands Tilman Reiff et Volker Morawe, comme une « Art Entertainment Interface. »
Avec PainStation, leur installation revisite le fameux jeu Pong avec un certain sadisme. Le joueur doit placer sa main gauche sur un PEU (Pain Execution Unit) qui l’électrocute, le chauffe ou le fouette en fonction de ses actions, le forçant à adapter instinctivement son jeu.
"Déjouer le jeu. Réappropriation et détournement de l'univers de jeux vidéo dans la création contemporaine" de Margherita Balzerani, 2006
Balzerani M. Déjouer le jeu. Réappropriation et détournement de l'univers de jeux vidéo dans la création contemporaine. Evol psychiatr 2006;71. [en ligne, consulté le 19 mai 2021 : https://www.em-consulte.com/article/53110/dejouer-le-jeu-reappropriation-et-detournement-de-]
Historienne et critique d’art. Enseignante d’histoire de l’art et sémiotique. Thèse de Doctorat en co-tutelle entre l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et l’Université de Rome La Sapienza : « Les enjeux esthétiques des jeux vidéo et leur influence sur la création contemporaine ». 113 Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris.
À l'ère de la cyberculture et de l'intelligence collective, le jeu vidéo s'impose de plus en plus à côté des disciplines artistiques historiquement établies. Son esthétique et sa manière de revisiter le réel révèlent une nouvelle représentation formelle et de plus en plus d'artistes contemporains s'emparent de ce nouveau moyen d'expression. Le dispositif spatial du jeu vidéo est comparable à une installation d'art contemporain. Les jeux vidéo comme les installations renforcent le sentiment de délocalisation ou d'ubiquité que procure toute sorte de spectacle. De l'idée d'une « esthétique relationnelle » évoquée par Nicolas Bourriaud on passe avec les installations qui font appel au dispositif du jeu vidéo à une esthétique participative où le spectateur a désormais la place de protagoniste. L'analyse d'une série d'oeuvres qui font appel au dispositif du jeu vidéo : « Vigilance 1.0 » de Martin Le Chevallier, Kolkoz dans « Hong Kong, 2002 », « Nekropolis » de Tobias Bernstrup, et « Sam » de Palle Torsson montre quelques exemples de réappropriation et de détournements de l'univers de jeux vidéo dans l'art contemporain. Les exemples cités permettent d'envisager différemment l'univers des jeux vidéo. Ces artistes contemporains s'emparent de cette forme d'expression pour en faire des nouvelles explorations plastiques et participatives, loin de sa finalité ludique et de simple divertissement. Dans ces oeuvres le rôle du spectateur est fondamental, il génère une expérience synesthésique et totale mobilisant tous les sens en même temps. Le jeu vidéo représente une forme d'art postmoderne, avec laquelle les artistes contemporains expriment l'idée du Gesamtkunstwerk évoquée par Richard Wagner, surgie de la seconde moitié du XIXe siècle avec son sens littéral, celui du « chef-d'oeuvre d'art total ». Nous assistons alors à un tournant dans l'expérience du vécu qui consiste à interroger le corps dans l'espace et le temps de manière synesthésique. Les artistes contemporains semblent incontestablement s'approprier des mots de Duchamp qui disait « ce sont les regardeurs qui font les tableaux », l'oeuvre alors demeure inachevée tant qu'elle n'a pas été reçue par le public, le regardeur devient alors acteur dans une dynamique spectaculaire et son rapport va au-delà de la simple contemplation passive.
Mots clés : Jeux vidéo, Installation, Art contemporain, Performance, Avatar, Interactivité, Détournement
Plan
- L'art vidéo et les jeux vidéo : une histoire commune
- Notion d'interactivité : entre art et jeu vidéo
- Pour une nouvelle étymologie du jeu vidéo
- Jeu vidéo : un média « tactile »
- Détournement des jeux vidéo
- Quelques exemples de réappropriation et détournement de l'univers des jeux vidéo
- Martin Le Chevallier
- Kolkoz : la matière du mensonge. Comment jouer avec le réel ?
- Tobias Bernstrup
- « Nekropolis »
- Palle Torsson
Le tour du monde du jeu vidéo queer, indé et post-colonialiste d’Isabelle Arvers, 2019-2020
UN TOUR DU MONDE ART ET JEU VIDÉO par Isabelle Arvers, commissaire d’exposition et game artiste
Pour fêter ses 20 ans de commissariat dans les domaines de l’art et des jeux vidéo, Isabelle Arvers, globe-game-trotteuse, se propose de réaliser en 2019 un tour du monde art et jeux vidéo afin d’aller à la rencontre d’artistes du numérique, de développeurs et développeuses indépendant·e·s dans plus de 15 pays du monde.
«Son dessein :
s’engager de juin 2019 à mars 2020 dans un tour du monde à la rencontre des artistes, acteurs et développeurs de jeux vidéo hors des sentiers battus américains et européens pour construire un projet sur la diversité du jeu vidéo et mettre en lumière les femmes du secteur. Activiste d’un art qui s’émancipe des majors internationales du genre, Isabelle Arvers milite pour l’indépendance, pour des formes d’art expérimentales qui aident « à sortir de la vision unique ». - Sébastien Acker 1 La Nouvelle République, 18.01.2019
Si les pays occidentaux ont récemment pris conscience de la nécessité de promouvoir la diversité de genre, de sexualité et de race dans les jeux vidéo avec l’organisation d’événements tels que GaymerX ou Rainbow Arcade, pour n’en citer que quelques uns, qu’en est-il dans le reste du monde?
Isabelle Arvers workshop at UCLA Gamelab, 2016
ART+GAMES WORLDTOUR vise non seulement à découvrir de nouveaux talents et des modes différents de traiter la question de la diversité mais il se propose aussi de créer du lien et à initier des collaborations avec les milieux du game art, du jeu indépendant, de l’art DIY en Asie, en Inde, au Moyen Orient, en Amérique latine et en Afrique. Il s’agit d’aller à la rencontre des acteurs de ce champ d’exploration artistique, de prendre le temps de partager les méthodes de travail et de concevoir le monde, d’échanger afin de développer un faire ensemble totalement nouveau et qui mette le plus possible en valeur la création féminine et les pratiques queer et décoloniales.
Téléchargez le dossier complet de présentation de ArtGamesWorldTour_VF
LA GENESE DU PROJET
En 2017, Isabelle Arvers passe 15 jours à New York, un voyage rendu possible grâce à De la Mule au Web. Elle y rencontre de nombreux.es artistes ainsi que des professionnel.e.s de l’art et des jeux vidéo, visite des ateliers, fait le tour des expositions. Elle rend compte de cette expérience enrichissante et immersive dans son article sur la scène new yorkaise Art et Jeu vidéo en novembre 2017: Oh Oh I am a curator, I am an art and games curator, I am a curator in New York, Oh Oh!
Quelques mois plus tard, au mois d’août 2018, elle est accueillie en résidence à Platohedro à Medellin et passe trois semaines à donner des ateliers machinima aux communautés proches de Platohedro et à l’association LGBTI Mesa Diversa Comuna quatro.
Machinima workshop on identity and gender, Comuna Quatro
Par la même occasion, elle présente des conférences sur l’art et les jeux vidéo dans trois universités et écoles d’art (MIT, EAFIT, Universita de Anthioquia). Dans ce cadre, elle rencontre de très nombreux artistes travaillant la vidéo, le détournement des technologies et des logiciels libres ainsi que des développeurs.ses de jeux indépendants et des labos de recherche en réalité virtuelle. Face au foisonnement créatif qu’elle observe, elle décide d’organiser sur place une édition spéciale de Art Games Demos.
Art Games Demos, Platohedro, Medellin, 2018
Imaginée par Isabelle Arvers et Chloé Desmoineaux, Art Games Demos est une soirée dédiée à l’exposition de créations touchant de près ou de loin à l’art vidéo et aux jeux vidéo.
Art Games Demos, VV, Isabelle Arvers, Chloé Desmoineaux
Les travaux présentés durant cette soirée peuvent venir d’artistes émergent.e.s ou confirmé·e·s, locaux·ales ou internationaux·ales, avec des projections vidéo en continu, des démonstrations de jeux vidéo indépendants, expérimentaux ou artistiques ainsi que des performances live, des concerts de musique chiptunes et des DJ Sets.
Cette expérience fondatrice s’est attachée à mettre en valeur les questions de la diversité, du genre et de la décolonisation, tout en analysant les méthodes de travail et d’échanges des différentes communautés afin d’en valoriser leur caractère innovant et inspirant. Elle donne ainsi l’impulsion à imaginer un projet encore plus inclusif, transversal et ambitieux: L’ART+GAMES WORLDTOUR
Evolution of gaming, a retrogaming exhibit curated by Isabelle Arvers in Vancouver, 2014
LE PROJET
Pendant dix mois, Isabelle Arvers sillonnera le monde et séjournera entre deux à trois semaines dans chacun des pays sélectionnés. Elle ira à la rencontre des communautés d’artistes et de développeurs.ses indépendant.es pour la plupart inconnu.e.s en Europe ou aux Etats-Unis, permettant ainsi de faire un état des lieux extensif de l’état de l’art dans l’univers du game, du hack, et de toutes les formes de l’art numérique activiste.
Ces rencontres sont aussi l’occasion d’échanger et de transmettre autour des questions soulevées par des ateliers et des conférences dans les Universités et les Ecoles d’art et de jeu vidéo spécifiquement conçus à cet effet. Le voyage offrira aussi l’opportunité de se rendre aux différents événements spécialisés et de visiter les centres de création [lieux de monstration art numérique et jeux vidéo ; universités et écoles d’art et de jeu vidéo ; centres d’art et nouveaux médias ; hacklabs fablabs ; indie meetup ; gamejam] et d’accroître le réseau en resserrant les liens au delà des frontières.
Pour y parvenir, Isabelle Arvers s’appuiera sur la multiplicité de ses réseaux: féministes, cyberféministes, queer, jeux indépendants, game art, détournement des technologies, hackerspaces, DIY technologies, étudiant.e.s en art et en jeu vidéo, développement informatique etc. qu’elle a su réunir autour d’elle en 20 ans de pratique active et intensive.
Games reflexions, an indie games exhibition curated by Isabelle Arvers, le Carreau, Cergy, 2013
LES OBJECTIFS
Les objectifs sont multiples:
Partir à la découverte de projets innovants et inconnus en Europe et aux Etats-Unis;
- Rendre compte de l’état de l’art en matière de jeux vidéo et d’art contemporain;
élargir la connaissance d’une forme d’expression artistique très répandue mais à la diffusion encore confidentielle; - Montrer l’effervescence actuelle de ces domaines et la richesse de leurs possibles croisements hors sentiers battus et réseaux déjà parfaitement identifiés dans une démarche transversale pouvant inspirer les autres formes d’art quant à l’adoption de méthodes collectives et innovantes de création et de promotion;
- Valoriser des modes de collaboration innovants et inspirants, des nouvelles manières de faire qui peuvent indiquer le chemin de nouveaux modes de relation aux autres, au travail et au virtuel;
- Mettre en relation et en réseau des artistes et développeur.es de jeux vidéo à travers le monde
- Favoriser le développement de croisements entre les réseaux européens, occidentaux, et ceux d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie;
- Mettre en valeur la création féminine, féministe, queer et décolonisée, par la promotion de la diversité dans la création de jeux vidéo et d’art numérique;
- Garder une trace durable de ce moment historique du développement des pratiques numériques et la restituer afin de venir enrichir la documentation d’une histoire de l’art en cours d’écriture.
Machinima workshop in Fayoum Art Center, Egypt, 2014
LES RESTITUTIONS
Plusieurs temps de restitution sont prévus permettant une valorisation soutenue tout au long du projet des sponsors, soutiens, mécènes, financeurs de tous horizons du projet. Un accent spécifique est mis sur les oeuvres participatives et sur les projets de type : jeux physiques, jeux urbains, jeux expérimentaux et artistiques, spectacles interactifs, ateliers, performances, installations interactives, jeux en RV, etc…
LES PUBLICATIONS MENSUELLES ONLINE
Tout au long du voyage, chaque visite donnera lieu à un reportage comprenant des portraits d’artistes, de game designers et de developers, ainsi que des critiques d’expositions ou d’événements. Chaque mois, Isabelle Arvers publiera un article vidéo/écrit de toutes ses rencontres, en partenariat avec un média.
L’ESSAI / LIVRE D’ART
Ces reportages, enrichis de l’ensemble de la documentation récoltée [photographies, enregistrements, vidéos, memorabilia, articles, textes, produits dérivés etc], constitueront le matériau de base pour rédiger, concevoir et designer un essai sur l’état de l’art du jeu vidéo actuel et se présentera sous forme de livre d’art.
Cette édition d’art papier se fixe pour objectif de faire le portrait des créatrices et créatifs rencontrés et de proposer un regard critique sur la création “art et jeu vidéo” aujourd’hui dans le monde. Conçu tout au long du voyage, structuré autour des reportages publiés online dont il propose une version plus exhaustive et enrichi des essais muris à cette occasion, il servira de base à l’élaboration du catalogue d’exposition.
LE FESTIVAL DE DEUX JOURS
Afin de fêter le long périple et de donner une première occasion de découvrir les travaux sélectionnés, un événement festif art et jeu vidéo sous forme de festival de deux jours sera organisé. Seront au menu performances, découverte de jeux, liaisons internet avec les auteurs aux quatre coins du monde, projections vidéos, DJ sets etc.
L’EXPOSITION INTERNATIONALE ITINERANTE ART ET JEU VIDÉO
La sélection d’oeuvres et d’artistes venant des quatre coins du monde faite au fur et à mesure sera présentée à un public européen élargi à l’occasion d’une exposition internationale “art et jeux vidéo” itinérante.
LE CATALOGUE D’EXPOSITION
Le catalogue d’exposition viendra enrichir l’essai de matériaux inédits et spécifiques à l’exposition itinérante.
Isabelle Arvers, testing VR games in Colombia
LES DESTINATIONS
Asie:
Corée du sud
Taïwan
Japon
Thaïlande
Indonésie
Afrique:
Nigeria
Sénégal
Côte d’Ivoire
Amérique latine:
Brésil
Argentine
Mexique
Colombie
Inde
Moyen Orient:
Israël/Palestine
Liban
Egypte
CONTACT
www.isabellearvers.com – www.kareron.com
Ce projet est produit par Isabelle Arvers & Kareron avec le soutien de l’Institut Français à Paris, Mumbai, Buenos Aires et le CNC DICREAM et l’aide à la recherche et à la théorie en critique d’art du CNAP
Étape 1 du tour du monde art et jeu vidéo en Corée du Sud / 9 juillet 2019
C’est parti pour le tour du monde de l’art et des jeux vidéo d’Isabelle Arvers. Hors des sentiers battus américains et européens, cette activiste qui depuis vingt ans défriche et accompagne les jeux vidéo côté art a décidé d’aller dans une quinzaine de pays, de l’Asie à l’Afrique au Moyen-Orient jusqu’en Amérique latine, à la rencontre d’artistes du numérique, de développeurs.ses indépendant.e.s. Pour construire un projet sur la diversité du jeu vidéo et mettre en lumière les femmes du secteur.Forcément, Poptronics ne pouvait que soutenir la globe-game-trotteuse et lui a demandé de nous envoyer régulièrement de ses nouvelles. Sa première chronique est coréenne, entre méditation, soupe d’algues et scène queer.
Affiche de la Korea Queer Archive. © Isabelle Arvers
Première étape de mon tour du monde art et jeu vidéo en Corée du Sud avec une arrivée à Séoul au petit matin. J’aime tout de suite le quartier d’Insa-dong, entre ses tours immenses et ses maisons traditionnelles. Mon hôtel est proche du quartier traditionnel de Bukchon, que je découvre avec l’artiste franco-coréen Yohan Han. Le temple Jogyesa, borné d’eau et de lanternes de toutes les couleurs, est l’un des plus anciens de Corée. Je tombe sous le charme du calme qui en émane.
Yohan, à Séoul pour coordonner le colloque « Médias situés et mobilités partagées » me donne quelques clés sur la Corée : la pollution qui vient à 30% de la Chine, cette statue, sur un des plus grands axes de Séoul, de l’empereur Sejong, celui qui a créé l’alphabet coréen, le hangeul et ses deux sortes de caractères (un peu comme le katagana et l’hiragana japonais).
Étape 2 du tour du monde art et jeu vidéo | 19 août 2019
Deuxième épisode sur Poptronics du tour du monde de l’art et des jeux vidéo d’Isabelle Arvers, avec escale à Taïwan, cette île à l’histoire politique compliquée qui porte officiellement le nom de « république de Chine ».
Bienvenue à Taïwan. © Isabelle Arvers
Taïwan fait partie de ces pays qu’on aime d’emblée. Cela tient à peu de choses, des regards, une sensation de détente, une impression de non retenue… On sent qu’ici, on peut respirer en toute liberté.
J’étais attirée par ce pays sans le connaître, avec cette idée un peu vague qu’il résistait au grand voisin, appelé en Asie « Mainland China ». J’étais loin d’imaginer à quel point j’allais adorer Taïwan. En arrivant à Taipei, j’ai découvert le pays de Shu Lea Cheang, cette artiste à la carrière internationale dont je suis l’amie, plus connue ici sous le nom de Cheang Shu Lea. Elle représente cette année Taïwan à la Biennale de Venise avec « 3X3X6 », une installation sur la surveillance et le panoptique à l’ère digitale. Avec ma structure Kareron, Shu Lea et moi travaillons depuis de nombreuses années, notamment sur le bio-jeu multijoueurs « Uki Enter the Bionet » et sur « Uki Cinema Interrupted », un film interactif sur fond d’ère post-Internet, l’intrigue naissant dans une ville de déchets électroniques.
Étape 3 du tour du monde art et jeu vidéo en Indonésie | 21 septembre 2019
Nature et culture, queer et traditions, activisme et jeu vidéo : la troisième étape, en Indonésie, du tour du monde d’Isabelle Arvers sur Poptronics est un joyeux mélange de genres. Exotique et ultra contemporain, curieux et défricheur.
Un pan de Boco Silino, texte et illustrations sur tissu qui raconte l’histoire et la culture des Bugis. © Isabelle Arvers
« Cherche jeux indé en Indonésie. » Au départ de Bali, dans le bus entre Banyumangi et Yogyakarta, j’ai lancé une bouteille à la mer des réseaux sociaux… et reçu au fil des treize heures passées à parcourir l’île de Java plus d’une trentaine de contacts… Depuis l’entame de mon tour du monde art et jeu vidéo, les réseaux sociaux sont mes amis... Alors que les panneaux indiquent Surabaya à ma droite, je suis justement en train de fixer un rendez-vous Skype avec Brigitta Rena du studio Mojiken… basé à Surabaya. J’en profite aussi pour échanger avec Fahmi Hesni, de Toge Productions, excellent éditeur et producteur de jeux indépendants qui me fournit immédiatement une liste de titres en exacte concordance avec ce que je recherche…
Étape 4 du tour du monde art et jeu vidéo à Bangkok | 5 décembre 2019
Quatrième étape du tour du monde d’Isabelle Arvers à Bangkok, qui fait l’impasse sur le pays du tourisme globalisé pour débusquer la pensée thaï et une création émergente subtilement déviante. La globe-game-trotteuse a décidé, pour fêter vingt ans de curation activiste, d’aller à la rencontre des développeu.rs.ses indépendant.e.s. et artistes de pays d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et jusqu’en Amérique latine, de la scène queer au post-colonialisme. Poptronics accueille ses chroniques du bout du monde.
La chaîne queer Roger Films, gros succès sur Youtube en Thaïlande (capture écran). © DR
Pour découvrir la Thaïlande, mieux vaut éviter le sud et ses mythiques fonds sous-marins. A la place des poissons et du corail, des marées de touristes écrasent de leurs pieds les fonds en prenant des milliards de selfies… Cette Thaïlande hors sol, parallèle, est le pays du tourisme globalisé, le même que partout ailleurs.
Mon tour du monde art et jeu vidéo rend au contraire possible la rencontre avec des artistes, la découverte d’une création émergente prolifique. Bangkok dévoile au fil de mes entretiens la pensée thaïlandaise, qui réussit à dépasser la censure depuis le coup d’Etat de 2014. Ici, même s’il est compliqué de l’afficher ouvertement, les artistes sont plutôt à gauche et plutôt critiques. Les œuvres engagées politiquement le sont en finesse et en suggestion, pour éviter que les expositions soient attaquées par le régime de la junte militaire, en place depuis 2014.
« Les sujets ne sont abordés que de manière subtile, jamais directement, m’explique Pierre Bichon, de la galerie Tars à Bangkok. Il est cependant tout à fait possible de ressentir ce que les gens pensent… »
Étape 5 du tour du monde art et jeu vidéo au Japon | 22 janvier 2020
Le vernis innovation du Japon est-il en train de craqueler ? Isabelle Arvers poursuit son tour du monde à la rencontre des développeu.rs.ses indépendant.e.s. et artistes de pays d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et jusqu’en Amérique latine. Elle rêvait de rencontrer la scène queer, post-colonialiste et indé du pays des inventeurs du robot et du jeu vidéo. Mais a plutôt découvert des créations poétiques et artistiques. Voici sa chronique tokyoïte pour Poptronics.
Je rêvais d’aller au Japon, depuis mes études en Sciences politiques et la lecture en 1993 d’un article de Jacques Attali sur les objets nomades (idées qu’il développait dans l’essai « Lignes d’horizon » en 1990). Il y décrivait la capacité unique d’innovation du Japon et son potentiel quasi inépuisable d’invention d’objets miniaturisés mobiles comme le téléphone portable, le GPS, les jeux vidéo, etc.
Un vieux rêve, qui m’avait même poussée à l’époque à apprendre le japonais… Je souhaitais aussi avoir le plaisir de retrouver un artiste, que j’avais exposé à Marseille dans le cadre de l’antiAtlas des frontières en 2013 : Masaki Fujihata. J’avais découvert son travail en 1993 alors qu’il présentait à Imagina (le forum des nouvelles images qu’organisait chaque année l’INA), une de ses plus belles œuvres, la représentation de son ascension du Mont Fuji à partir des coordonnées GPS de sa marche : « Impressive velocity ».
J’aurais aimé aussi pouvoir retrouver Akitsugu Maebayashi, dont j’avais exposé à Villette Numérique en 2002 à Paris l’une de mes œuvres numériques préférées, « Sonic interface ». Cette installation portable pour deux marcheurs, munis de casques audio et d’ordinateurs dans le dos, modifiait le son environnant par différents filtres, afin de perturber totalement le spectateur - par des effets de retard, de boucles ou de transformation sonore.
Étape 6 du tour du monde art et jeu vidéo au Brésil | 1er juillet 2020
C’est reparti ! La pandémie n’a pas interrompu le tour du monde du jeu vidéo queer, indé et post-colonialiste d’Isabelle Arvers, en a juste ralenti le rythme. On a pris régulièrement de ses nouvelles en attendant que la curatrice et créatrice puisse reprendre la chronique de ses rencontres d’artistes et développeu.rs.ses indépendant.e.s. d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Amérique latine. Voici sa chronique depuis le Brésil d’avant le covid-19.
« Lick My Eyeball », jeu de puzzle signé du collectif de Brasilia Umunum. © DR
J’ai retrouvé au Brésil d’anciennes connaissances, puisque ce pays est l’un des seuls de ce tour du monde que j’avais déjà visité à plusieurs reprises et dont la scène artistique numérique m’est familière. Je ne suis pas en terre inconnue pour évoquer le travail de Rejane Cantoni, Tania Fraga, Gilbertto Prado ou Regina Silveira.
J’espérais cependant repérer une scène émergente d’artistes utilisant le jeu comme médium… mais j’ai découvert avec étonnement que je connaissais déjà la plupart d’entre eux-elles. Et qu’il n’existait pas de nouvelle génération de game artistes.
En revanche, côté diversité de genre, diversité ethnique et diversité sexuelle, le Brésil est sans conteste l’un des pays où ces thématiques irriguent le plus la production de jeu vidéo. Il y a un réel rapport critique et une prise de conscience de « qui » conçoit des jeux vidéo et d’où la parole se situe.
Entretien avec Chloé Desmoineaux | Institut Français - 6 mars 2020
https://www.institutfrancais.com/fr/rencontre/chloe-desmoineaux
Après avoir obtenu un diplôme de l’École supérieure d’art d’Aix-en-Provence en 2014, Chloé Desmoineaux multiplie les projets. Portée par le féminisme, elle crée des expérimentations médiatiques composées de performances, de vidéos ou encore de jeux vidéo. Déjà co-organisatrice des soirées Art Games Démos avec Isabelle Arvers, la voici commissaire de l’exposition « S’il vous play ! ».
D’où vous vient cet attrait pour le jeu vidéo ?
Je joue aux jeux vidéo depuis que je suis petite. Dès les tout premiers ordinateurs à la maison — l’époque de Windows 3.1 —, je jouais sur disquettes. L’attrait artistique est venu plus tard, à l’école d’art d’Aix-en-Provence où j’ai étudié. Nous avions des cours qui nous permettaient à la fois d’analyser des jeux et d’en créer, avec les outils de programmation et de création qui étaient mis à notre disposition.
On parle parfois du jeu vidéo comme du « 10e art ». À travers vos travaux, vous défendez une vision du jeu vidéo comme support artistique. Le jeu vidéo est-il un art à part entière ?
J’ai du mal à considérer le jeu vidéo comme un art à part entière. À mon sens, c’est presque trop restrictif : il y a tellement de croisements en son sein, et une multitude de créateurs, venant d’horizons artistiques différents… Oui, un jeu peut être qualifié d’œuvre d’art mais il reste néanmoins inclassable. Tout l’intérêt du jeu vidéo réside dans le fait qu’il permette de faire des associations entre différents médiums, que ce soit le cinéma, la musique, etc. Je considère plutôt que le jeu vidéo est une branche de l'industrie culturelle, qu’il est à la fois un outil, un support, un médium artistique, et un média.
Les titres français qui m’ont marquée dernièrement sont ceux du studio Accidental Queens. Ce sont des jeux sur smartphones, donc très accessibles.
Quel regard portez-vous sur le cinéma ? Ne propose-t-il pas une démarche similaire ?
La différence entre jeu vidéo et cinéma se situe dans l’interaction et l’implication du spectateur. C’est sûr qu’il y a de grands parallèles à faire entre les deux, ne serait-ce que par la dimension blockbusters et les titres à gros budgets qu’on retrouve dans les deux, cinéma et jeu vidéo, ou encore l’approche narrative des scénarios, l’importance des personnages, etc. On ne peut pas nier ce rapprochement, d’autant que le Centre national du cinéma et de l’image animée finance, en partie, l’industrie du jeu vidéo.
La reconnaissance du jeu vidéo passe-t-elle donc par le secteur indépendant ?
Le secteur indépendant devient de plus en plus important en matière de ventes, et donc de visibilité. Plusieurs branches se sont créées : il y a des jeux "indé" assez commerciaux, et il y a la filière dite plus expérimentale dans laquelle j’évolue. Si je devais quand même parler d’un studio français, je citerais le studio français Motion Twin et son succès Dead Cells. C’est un studio qui m'intéresse tant par ses créations que par son organisation collective. Ils prouvent qu'il y a d'autres modèles économiques possibles ; ce qui ne les empêche pas de créer un hit.
C'est important de ne pas négliger le rôle du jeu vidéo dans le développement des enfants.
Dead Cells est complexe… Quel jeu français conseilleriez-vous à un joueur débutant qui voudrait découvrir ce 10e art ?
Pour découvrir l’univers du jeu vidéo dans sa globalité, c’est compliqué de ne recommander qu’un jeu ! Les titres français qui m’ont marquée dernièrement sont ceux du studio Accidental Queens. Ce sont des jeux sur smartphones, donc très accessibles. Ce studio a sorti A Normal Lost Phone et Another Lost Phone : Laura’s Story qui simulent le téléphone du personnage principal. Il faut explorer, résoudre des énigmes et les données présentes sur le mobile fictif présent à l’écran. C’est un mélange assez subtil de voyeurisme — car on parcourt le portable d’un autre — et d’empathie. Dans un autre genre, il y a aussi Enterre-moi, mon amour, du studio The Pixel Hunt, que j’ai trouvé intéressant dans son style narratif. On lit les messages d’une femme syrienne sur une messagerie virtuelle, en prenant soin d’y répondre pour influer sur son destin. Par les algorithmes et les variables cachés, le jeu apparaît comme une version 2.0 du « Jeu dont vous êtes le héros » (ndlr : en référence aux célèbres livres des années 1980) : c’est plus subtil que de faire des choix dont nous sommes pleinement conscients.
L’exposition itinérante « S’il vous play ! » associe des technologies diverses et des jeux vidéo indépendants, parfois complètement inconnus du grand public. Quel est l’objectif derrière cette exposition, réalisée en collaboration avec le créateur Pierre Corbinais ?
Pierre Corbinais et moi-même souhaitions créer une exposition sur les petits développeurs, avec des jeux méconnus et atypiques. Nous venons tous les deux de la scène expérimentale : nous voulions présenter des jeux que nous trouvions intéressants par leurs contenus, mais aussi par leurs mécaniques et l’expérience qu’ils proposent. Il était important pour nous d’introduire également des jeux vidéo réalisés par des personnes évoluant en dehors de l’industrie du jeu vidéo. L’exposition « S’il vous play ! » met l’accent sur la créativité, et les partis pris politiques, à travers des représentations qu’on trouve rarement dans ce monde-là.

Vous faites du genre et du féminisme des sujets primordiaux. Vous n’hésitez pas à mettre en exergue des œuvres portées par des personnages féminins. Pour vous, le rapport identitaire au jeu vidéo est-il forcément social, voire politique ?
De prime abord, j’ai envie de dire non, tous les jeux vidéo ne sont pas politiques ! Ce n’est pas une obligation. Mais d’un autre point de vue, presque tout est politique dans cette industrie qui se revendique neutre ou dépolitisée. La majorité des grosses productions porte un discours occidental, avec des scénarios basés sur le colonialisme, des contextes militaristes, des personnages assez machistes… Quand je demande aux gens à quoi ils jouent, ce sont toujours ces jeux-là qui reviennent !
Le jeu vidéo est un média de masse. Certains titres sont même extrêmement populaires : j’ai passé récemment plusieurs jours dans une école, où les danses des enfants et leur vocabulaire étaient pour beaucoup inspirés du jeu Fortnite ! Je me dis que c’est important de ne pas négliger le rôle du jeu vidéo dans le développement. Ça vaut le coup de penser de nouvelles histoires, d’imaginer de nouveaux héros et héroïnes…
Quels projets préparez-vous pour l’année à venir ?
Ces dernières années, j’ai principalement fait des expositions et de la curation. J’ai bien envie de remettre la main à la pâte ou de me lancer dans un doctorat. Avec mes collaborateurs, nous songeons aussi à organiser un gros évènement d’un mois qui se déroulerait à Bourges, sur une friche culturelle réunissant plusieurs pôles d’activité. Ce serait plutôt vers 2021, mais je n’en dis pas plus ! J’aimerais aussi réaliser un documentaire sur la scène jeu vidéo alternative et ses créateurs que j’ai rencontrés ces cinq dernières années.

Produite par l'Institut français, l’exposition « S’il vous play ! » tourne à l'international au sein du réseau culturel français à l'étranger depuis 2018.
En savoir + sur l’exposition « S’il vous play ! »
Appréhendé parfois comme un médium de divertissement, le jeu vidéo propose en réalité une très grande richesse d'écriture et de formes. Dans l’ombre des productions les plus visibles se cache une multitude de jeux originaux, dont la diversité n’a rien à envier à celle du cinéma indépendant ou de la bande dessinée alternative. Et les créations françaises font bien souvent figure de précurseurs dans l’exploration de ce médium encore jeune.
À travers "S’il vous Play !", l’Institut français et les commissaires de l’exposition, Chloé Desmoineaux et Pierre Corbinais, proposent de découvrir quelques-unes de ces créations, qu’il s’agisse de productions commerciales issues de studios indépendants déjà bien installés ou de jeux " d’auteur ", expérimentaux, intimistes, engagés, développés parfois en quelques jours seulement – mais toujours innovants.
L’ambition de cette exposition, dont la scénographie est légère et modulable, est de proposer au réseau culturel un corpus variable d’œuvres qui trouveront à l’international de nouveaux publics. Dotées ou non d’un espace jeu vidéo, les médiathèques du réseau constituent des lieux particulièrement propices à l’accueil de "S’il Vous Play !".
Chloé Desmoineaux, son autre genre de jeux | poptronics - avril 2020
lien => https://www.poptronics.fr/Chloe-Desmoineaux-un-autre-genre
Il y a d’autres jeux que « Minecraft », « Fortnite » et « Animal Crossing ». La preuve par les 🍬 réunies cette semaine par l’artiste et curatrice Chloé Desmoineaux, invitée par Nicolas Frespech à investir sa tinyletter « Papillote ».
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Chloé Desmoineaux est artiste, curatrice en gaming 👾🎮🏳️🌈. C’est du Canada 🍁 qu’elle nous propose un sachet rempli de 🎮 qu’elle aime, sa collection ❤️ qu’elle nous partage ici, avec du dating sim, du jeu de supermarché, etc. C’est à toi, Chloé !
🍬🔊⚧️ Je n’ai pas pu voir grand chose du Canada pour le moment, mais je peux au moins vous partager le travail d’une artiste et musicienne transféministe prônant la désobéissance technologique et luttant contre la virtuosité toxique, Dominique Pelletier. J’ai la chance de passer le confinement avec elle…
On l’appelle aussi R41ÑB0W TR4$H. Elle joue du thérémine, elle est artiste de chiptunes, sound designer, et fait du modding de vieux jouets, jeux vidéo, instruments de musique. Elle travaille actuellement sur un projet de sons générés par la puce audio d’une console de jeu vidéo et contrôlé par un thérémine : « The Theremintendo Entertainment system ».
Pulpo Pulquero (feat. Crab sound), R41ÑB0W TR4$H, 2019 :
A lire, un de ses textes sur Circuitmagazine qui fait le parallèle entre traduction et interprétation de la machine lors de live coding et de chiptune.
🍬🖕🙅🏽♀️ Dominique Pelletier est aussi à l’initiative des ateliers « Fuck the Soundcheck » durant lesquels les femmes et personnes queer qui le souhaitent apprennent ensemble à s’autonomiser dans le branchement et la gestion de leur propre matériel sonore pour le live.
Affiche pour un atelier Fuck the Soundcheck. © DR
🍬💕📝 Ma liste de dating simulators : le dating simulator est un style de jeu basé sur des dialogues, qui consiste à simuler des discussions et à draguer des personnages dans différents contextes. C’est un genre assez populaire au Japon, où il y a pléthore de jeux pas forcément passionnants.
J’ai fait ma sélection de jeux un peu étranges qui utilisent les mêmes mécanismes et gameplays mais qui en détournent les codes esthétiques et/ou narratifs.
« Dream Daddy : A Dad Dating Simulator »
Dans « LoveBug », on ne tombe amoureux que si on réussit à gagner la gamejam (capture écran). © CC
« Consentacle », à jouer à deux
« Hot Date », simulateur de jeu de drague pour chiens.
⚠️❤️ Trigger Warning, mise en garde spéciale pour les jeux suivants, dont certains peuvent être angoissants et/ou comporter de la violence :
« Doki Doki Litterature Club », où il faut jouer au minimum 2h pour que ça devienne intéressant.
« Doki Doki Litterature Club », capture écran. © CC
« Fuck Everything », bien trash.
« Kind Words » n’est pas vraiment un dating sim, mais c’est un bon jeu pour partager ses éventuelles préoccupations et recevoir un peu de réconfort. Bon personnellement, j’ai un peu de mal avec la musique d’ambiance « lo-fi chill beat » qui est un des arguments principaux du jeu, mais il y a toujours moyen d’en profiter en coupant le son ou en le remplaçant par autre chose.
🍬🏳️🌈📝 Ma sélection de jeux et créations diverses queer, féministes et LGBTQ+ en libre téléchargement. Vous y trouverez :
Des zines et créations diverses de la géniale Nathalie Lawhead ;
Des jeux gays, érotiques et parfois décalés de Robert Yang, avec en sous-dossiers Radiator2 (Linux, Mac et Windows) qui contient 3 minijeux (🤕 « Hurt Me Plenty », « Succulent », « Stick Shift »), et « No Stars, Only Constellations »
Si vous avez apprécié ces jeux, n’hésitez pas à aller sur les pages itch.io de leurs développeur.euse.s pour les acheter.
🍬👩🏻👨🎨 « Behind Every Great One » de Deconstructeam est un jeu en huis clos qui aborde la question de la charge mentale et du sexisme au sein d’un foyer. Vous jouez Victorine, femme d’un célèbre peintre. Chaque jour, vous aurez des tâches à effectuer et inévitablement, ces choix seront commentés par votre mari...
🍬🧙🏼♀️ « « Bewitching Revolution » » de Colestia, est un jeu basé sur le travail de Silvia Federici dans lequel vous jouez une sorcière communiste dans une ville cyberpunk.
🔬 « The Trans Zone » par Glamow Research, est un jeu sur la transidentité : devenez qui vous avez envie d’être en partant à la recherche d’hormones distribuées par les personnages que vous allez rencontrer.
🛏️ Des classiques d’Anna Anthropy :
« Triad », pour trouver comment dormir à trois paisiblement dans le même lit.
« Get Them Hard », pour jouer une gorgone et gérer tous ces jeunes guerriers qui veulent vous tuer.
🍬📜💅🏿💻 Pour encore plus de jeux, vous pouvez aller jeter un œil à cette sélection que j’ai réalisée pour la Gaité lyrique à l’occasion de l’exposition « Computer Grrrls ». Première partie ici, 2ème partie ici, 3ème partie là et 4ème partie là.
Dans « Hair Nah », de Momo Pixel, on est Aeva, fatiguée des gens qui touchent nos cheveux sans notre consentement (capture écran). © CC
🍬🧳 Autre option : suivre ce lien qui mène à ma récente collection perso de jeux queer, un peu kinky et féministes. Comme :
« A_Desktop_Love_Story », Nathalie Lawhead, 2018, bande-annonce :
Enfin, ce site référence des jeux qui intègrent du contenu et des représentations LGBTQ+.
🍬🎙️Ce n’est pas un jeu, mais comme il est toujours (et peut-être plus encore en ce moment) temps de lutter, je partage ce petit remix karaoké féministe de Britney Spears écrit collectivement en mixité choisie lors d’un atelier au #Silure, pour la Marche nocturne féministe du 7 mars 2020 à Genève.
Remix karaoké féministe #Silure 2020 :
Vous trouverez plus d’infos sur le lien sous la vidéo Youtube. Merci à Cassandre Poirier-Simon, membre du collectif, pour le partage !
🍬🇲🇽 Direction le Mexique maintenant, où ce communiqué rédigé par les organisatrices des rencontres technoféministes Cyborgrrrls fait suite à l’annulation de leur évènement au début de l’épidémie de Covid-19. Il y a plusieurs éléments intéressants à tirer de ce texte (en anglais et espagnol), notamment l’approche post-colonialiste et féministe de la pandémie.
🍬🛍 Des jeux qui se passent dans un supermarché et souvent ça part en sucette. Après l’annonce d’une potentielle pénurie de papier 🚽, je suis partie en quête de jeux qui se passent dans des supermarchés. Il y en a pas mal en fait.
Mon préféré, c’est « Eat the Rich », un 🏪 simulateur de Black Friday, où vous jouez une masse de petits bonshommes roses avides de consommer un maximum.
« Eat the Rich », l’homme en cochon de consommateur (capture écran). © CC
🚓 « Lost Wage Rampage » par Jane Friedhof, Marlowe Dobbe et Andy Wallace. Sautez dans votre voiture et jouez-là Thelma et Louise en roulant à toute berzingue dans le centre commercial afin de récupérer l’argent qui sépare votre salaire de celui de vos congénères masculins.
« Lost Wage Rampage », carambolage au supermarché (capture écran). © CC
🍬🛍️ « Night of the consumers » par Germfood.
🍬⌛« Waiting in line 3D » par Rajeev Basu, malheureusement hors ligne.
🍬🤗 J’ai commencé aussi une petite liste de jeux « Care », pour se faire du bien, souffler un peu. La sélection a vocation à s’agrandir petit à petit.
« Zen and the Art of Transhumanism » (tout est dans le titre). © CC
🍬😍 J’adore faire découvrir des jeux, mais j’aime aussi qu’on me partage ses coups de ❤️. Donc n’hésitez pas à m’envoyer des recommandations, me donner votre avis sur la sélection, vos expériences de jeux par ici.
Bonne découverte et prenez bien soin de vous !
🍬🍬
❤️🎁 « T.I.N.A. » est une œuvre créée par Chloé Desmoineaux et Leslie Astier, jeu de carte et outil pour discuter ensemble des représentations récurrentes et stéréotypes.
Revue IMMERSION - revue sur le jeu vidéo | depuis 2017
Immersion est une revue sur le jeu vidéo fondée en 2017 à Paris.
MANIFESTE
Comme le livre, le cinéma ou toute forme de création instrumentée, le jeu vidéo est une affaire de technologie. Candy Crush est un jeu vidéo au même titre que Tetris ou que The Last of Us. Tous ces titres sont des programmes codés qui articulent un ensemble d’éléments graphiques et sonores dans un univers régi par un ensemble de règles avec lesquelles il est nécessaire d’interagir pour jouer. Bien qu’il soit possible de réduire à sa simple définition technologique le jeu vidéo, nous préférons le considérer avant tout comme une grammaire de création. Et c’est à travers ce prisme que nous souhaitons envisager sa compréhension et son analyse.
Depuis l’apparition du jeu vidéo, de nombreux créateurs, qu’ils soient indépendants ou issus de grands studios, s’approprient ce médium pour proposer des œuvres radicales ou subversives. Des œuvres qui ne se contentent pas simplement de proposer de bonnes expériences de gameplay mais qui offrent avant tout d’incroyables expériences cognitives. Aujourd’hui, avec des ordinateurs permettant des calculs de plus en plus rapides, nous assistons à un accroissement à priori infini de l’amplitude créative offerte aux artistes, programmeurs et concepteurs. Et depuis quelques années, grâce à la démocratisation des outils de création et à la dématérialisation de la distribution, ce type de production a vu son nombre exploser.
Dans ce contexte, il semble aujourd’hui essentiel de proposer un nouvel espace de réflexion et d’interprétation de la création vidéoludique. Un espace qui permette de s’immerger dans la dimension artistique, philosophique et intellectuelle du jeu vidéo pour la comprendre et se l’approprier. Un espace où le commentaire du jeu serait produit par des écrivains, des cinéastes, des artistes ou des universitaires, qui proposeraient à chaque fois une lecture du jeu à la fois singulière et pertinente.
C’est avec cette envie que nous est venue l’idée d’une revue semestrielle, car détachée de l’actualité, naviguant parmi les œuvres de ces trente dernières années et surtout, sur format papier, car nous la voulons ancrée dans un réel tangible: un support physique, avec des pages pouvant être soulignées, découpées, archivées. Une revue qui s’éloignerait du traitement habituel de la presse vidéo ludique pour proposer un véritable espace d’analyse et de commentaire au contenu qualitatif, destiné à un public curieux et exigeant. Un contenu déployé dans une maquette soignée et inventive, imprimée sur un papier de qualité, l’ensemble des textes étant accompagné d’une iconographie riche et originale proposant autant de lectures de l’imagerie du jeu vidéo et de ses particularités en qualité de médium interactif. Dans Immersion, chaque jeu que nous déciderons de penser sera abordé selon un axe unique. Un espace où il serait possible d’étudier en détail les animations de Dark Souls 3, de questionner la subjectivité dans l’exercice du jeu dans The Phantom Pain, ou de lire une étude poussée sur l’évolution des interfaces graphiques dans les third-person shooters. Ici, aucune grille d’analyse systématique mais plutôt une volonté de faire émerger de chacune des œuvres sa particularité, son articulation propre, et ainsi d’offrir autant d’axes de commentaires que de jeux, en se focalisant sur les détails, sur les dynamiques qui leur sont propres.
Immersion abordera évidemment le jeu video à travers ses créateurs, avec des dossiers, des articles et des interviews de game designers, d’auteurs, de techniciens et d’artistes. Nous voulons également élargir le champ de réflexion et ainsi tisser des liens avec différents champs artistiques et scientifiques, via des articles sociologiques ou philosophiques et des interviews d’acteurs de la vie culturelle, dans le but de montrer l’impact que le jeu peut avoir sur la société et sur les hommes. Avec Immersion, nous avons pour ambition d’accompagner joueurs, concepteurs, chercheurs, étudiants, artistes ou simples curieux dans leur compréhension d’un pan entier de la création contemporaine. Avec pour objectif de toucher un public souhaitant comprendre ce médium, qu’il soit joueur ou non.
Mohamed Megdoul
Décembre 2017
Immersion embrasse la culture du jeu vidéo avec une approche pluridisciplinaire, profitant de l’espace encore vierge entre presse culturelle sérieuse et revues de jeux vidéo mainstream. Sera-t-elle les « Cahiers du cinéma » du jeu vidéo?
Les Inrockuptibles.
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Immersion est une revue transdisciplinaire. Nos auteurs et nos autrices sont des architectes, des artistes, des philosophes, des économistes, etc. Dans nos pages, « jeu vidéo » s’entend donc au sens très large. Si votre discipline vous permet d’apporter un éclairage nouveau sur l’art vidéoludique, vous êtes au bon endroit. Si vous travaillez dans le secteur du jeu vidéo, votre expertise et votre point de vue nous intéressent tout autant, surtout si votre démarche se situe en dehors des codes et des grilles de lecture préconçues.
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Chaque numéro d’Immersion tourne autour d’un grand thème transversal. Par le passé, nous avons publié des numéros sur des thèmes comme le peuple, l’amour ou encore l’argent. Un numéro est composé à la fois d’articles commissionnés directement à des spécialistes, et d’articles qui nous sont proposés à l’occasion d’appels à contribution. Les propositions que nous recevons sont évaluées par l’ensemble de notre équipe en fonction de plusieurs critères: pertinence, originalité, qualité de l’écriture, variété des profils et équilibre du numéro.
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Immersion est une revue qui publie principalement des essais, et qui s’adresse à un large public. Nous nous devons donc d’être à la fois exigeants et rigoureux, tout en restant lisibles, y compris pour des non-spécialistes et de simples curieux. D’autres formats sont cependant possibles (interview, fiction, carnet de bord), tant qu’ils respectent ces critères.
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Les textes publiés dans la revue font 20.000 signes environ. Pour le site, le format est libre.
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Les propositions d’articles (1 page max) sont à faire parvenir à cette adresse: angelo@immersion-revue.fr

Enjeux de l'art et l'art en jeu
Articles très sérieux sur les jeux pour les je dans l'art
L'art en jeu... Sandra Doublet, www.edit-revue.com, #7 – The Game / Le Jeu – 2007/12/08
« Le joujou est la première initiation de l’enfant à l’art, ou plutôt c’en est pour lui la première réalisation ». Voici l’affirmation d’un lien intrinsèque entre le jouet et l’art par Baudelaire, dans son texte « morale du joujou ». L’enfant crée par l’intermédiaire du jouet, et les lieux d’art utilisent aujourd’hui le vecteur jeu comme activateur de sens devant l’œuvre. Quel lien entre le jeu et l’art et jusqu’où aller ? Les musées cherchent à attirer des petits visiteurs dans leur lieu d’exposition. En effet, il y a encore vingt ans, le jeune public n’avait aucun impact dans les politiques muséales, les accrochages et les cartels laissaient aux seuls adultes le privilège d’avoir accès à l’œuvre. Désormais, l’on prend de plus en plus en compte les enfants car ils apportent la possibilité de vivre la visite du musée en famille et engendrent une fidélisation accrue, du moins lorsque les musées parviennent à renouveler le choix des activités proposées.
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L'art en jeu... pour une médiation ludique et pédagogique adaptée aux enfants. Sandra Doublet, www.edit-revue.com, #7 – The Game / Le Jeu – 2007/12/08
fête FORAINE | ENIAROF etêf / Annick Rivoire, poptronics 12.05.17
Les bonnes feuilles de BookNIAROF, le livre de recettes de jeux déviants
Poptronics vous propose des extraits d’un livre qu’on attendait depuis longtemps, sorte de cookbook pour fabriquer des attractions déviantes, le « BookNIAROF ». Ce « livre Frankenstein, » affirment leurs auteurs, présente l’aventure d’ENIAROF (foraine à l’envers), objet artistico-ludique imaginé en 2005 par l’artiste Antonin Fourneau en guise de projet de diplôme pour les beaux-arts d’Aix-en-Provence, accompagné par son enseignant d’alors, Douglas Edric Stanley.
Le livre restitue l’ambiance de la vingtaine d’ENIAROFs organisés depuis 2005, en France et à l’étranger, avec toujours un système d’atelier de fabrication DiY en amont.
Affiche ENIAROF 14, en 2014. © DR
Interview, page 15
Antonin Fourneau & Douglas Edric Stanley
« Deux artistes complices portent et diffusent ENIAROF, des rendez-vous éphémères ludico-artistiques qui convoquent sur deux ou trois jours le public à jouer à des attractions déviantes, qui détournent et hackent arcades, jeux vidéo et autres juke-box de la vogue d’antan.
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© Clorinde Durand
« C’est phénoménal le nombre de gens qui connaissent et adorent ENIAROF sans jamais y avoir assisté ! Alors, c’est quoi au juste cet objet ludique non identifié (OLNI) ?
« Antonin Fourneau : C’est une façon de casser le ghetto de l’art numérique en disant que oui la technologie, ça peut être un truc dans une cage en bois, et pas une station graphique boîte noire impénétrable.
« Douglas Edric Stanley : On ne fait ni flash-mob ni apéro Facebook, mais on peut parler d’ENIAROFisation… L’idée, c’est que les artistes invités à participer à un ENIAROF ne soient pas trop « princesses », qu’ils ne pensent pas trop au sens de leur “œuvre” quand ils créent leurs installs. C’est pour ça qu’on leur parle d’attractions, en posant des questions simples, du genre : “Et si vous faisiez le tout avec du Scotch ?”
« Antonin : Notre parti pris de “piquer” les jeux pour les mettre dans ENIAROF, vient du fait que ma génération est parfaitement au courant des règles du jeu vidéo, qu’on peut l’amener dans un contexte qu’elle connaît en changeant juste un peu les règles… ENIAROF ne “fait” pas du jeu vidéo en tant que forme, mais choisit la forme la plus populaire d’interaction qu’est le jeu vidéo. ENIAROF est un lieu pour des choses qui n’ont pas encore de cadre, des expériences qu’on peut tenter, et même rater.
ENIAROF Aix-en-Provence 2013. © Manuel Braun
« Douglas : Nous travaillons à fabriquer un ENIAROF pendant deux à trois semaines, et en deux ou trois jours on appelle le public à le détruire. D’habitude, on va dans un musée voir de l’art contemporain et c’est déjà assez compliqué à comprendre. En plus avec le numérique, il y a des boutons partout, souvent l’installation est cassée parce que c’est toujours à la limite technique… Le dogmENIAROF répond de jolie manière à cette situation : si une attraction se casse, c’est qu’elle a été aimée. Si une chose ne marche pas, elle peut être recyclée. La notion de débordement est ainsi prise en compte.
« Antonin : Et si ton attraction ne marche pas, tu collabores avec le voisin sur la sienne ! ENIAROF est influencé par le jeu vidéo, sa temporalité, ses règles du die and retry que tout le monde connaît : le jeu vidéo, on l’allume et c’est game over. C’est un mouvement de design de jeu, de détournement, de recyclage. Les gens qui jouent aux jeux ont tendance à contourner les règles. Nous nous en inspirons pour aller au-delà : on a fait des crêpes sérigraphiées et on fabrique des bars en palettes…
« Douglas : C’est comme avec l’installation de “Fuckings machines” dite “Combat de cocks” : la formule aurait pu tourner de façon douteuse, un godemiché moulé fourré de confetti ou de farine…
« Antonin : Alors qu’on a abouti à quelque chose qui relève d’une certaine esthétique : la “Fucking machine” aurait pu avoir lieu dans un univers uniquement potache, on l’a pensée comme une joute de combat lors d’ENIAROF 13. Mais tout est une question de mise en scène. ENIAROF, c’est aussi une méthode : des artistes et un temps de fabrication sur place au maximum de deux semaines en amont, sous forme de workshop. Au début, chaque participant devait vendre son concept en une punchline. S’est posée la question de la validation. Comme c’était compliqué, on l’a fait à l’applaudimètre, et ainsi tout le monde valide tous les projets. ENIAROF fonctionne généralement sous la forme d’invitations au collectif, on vampirise les festivals d’art numérique ou certains espaces mal définis.
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« Bon alors au final, c’est de l’art, de la foire ou du jeu indé, ENIAROF ?
« Douglas : Dans les énormes salons du jeu vidéo, tous sont là pour jouer, faire du cosplay, et pendant qu’ils mangent des hot-dogs et des pizzas dégueu, il y a bien quelques geeks qui montent sur scène pour un moment Guitar Hero, mais même quand ils partent sur du death metal, rien ne déborde, tout reste confiné. Jamais la scène n’atteint la démesure de l’imaginaire de ceux qui y montent. Il manque aux salons de jeux vidéo le fameux cercle magique de Johan Huinzinga. Dans tous les cas, je ne l’ai jamais trouvé là-bas, ce cercle social dont parle l’auteur d’“Homo Ludens” (“Homo Ludens : essai sur la fonction sociale du jeu”, Johan Huinzinga, Gallimard, 1977). C’est souvent dans les bars ou les boîtes de nuit en marge de la GDC (la conférence des développeurs, ndlr), avec bière et musique, que naissent les propositions plus intéressantes. Ou encore le Game Art Festival monté par Eddo Stern au Hammer Museum de Los Angeles, ou au San Francisco Museum of Modern Art quand ils organisent une soirée indiegaming (le jeu indé, ndlr). Quand j’ai rencontré un des fondateurs du uber-cool game space Babycastles, c’était il y a fort longtemps, dans une résidence artistique, en Islande. Avant d’être un des chouchous de la scène “indie”, il se disait juste “artiste”. Il faut traîner dans quelques lieux artistiques pour voir l’avenir du jeu vidéo.
« Antonin : ENIAROF est un terrain vague. À ceux qui vont y venir de définir ce que l’on y met. ENIAROF s’inspire de l’importance du terrain vague dans le jeu, concept développé dans « Jouable » (colloque, exposition à Genève en 2004) par le philosophe Hiroshi Yoshioka (IAMAS). Il y rappelait qu’au Japon après-guerre, le terrain vague tenait le rôle de terrain de jeu mais qu’aujourd’hui, « le moindre espace de la ville est affecté à sa fonction, et les enfants sont censés jouer dans l’aire de jeu » (in “Jouable, Art, jeu et interactivité, Genève Tokyo Paris”, page 129, catalogue, 2004). Autre texte important pour ENIAROF, c’est l’“Éthique du pique-nique” de l’artiste Étienne Cliquet qu’il a écrit après avoir réuni un collectif dans l’exposition “Villette numérique” (Paris, 2004). Comme dans un pique-nique où se pose la question de savoir qui aura pensé au tire-bouchon, dans ENIAROF, ce sont ceux qui y viennent qui définissent ce qu’on met dans le container.
ENIAROF Moscou 2016. © Antonin Fourneau
« Douglas : Je me pose la question du rôle de l’indiegaming. ENIAROF en fait-il partie ? Je suis de la génération du classic gaming. Dans l’indiegaming se trouvent les prémices d’un mouvement plus artistique, comme le collectif Tale of Tales, qui développe un univers plus dense et riche que n’importe quel jeu indé. L’indiegaming annonce que les choses ont changé, mais est-ce que le jeu vidéo lui-même va s’ouvrir ou se refermer ?
« Antonin : ENIAROF a un côté gazeux, vaporeux, comme le milieu du jeu vidéo : le corps doit être présent pour le toucher, il faut y être pour le saisir. S’il doit y avoir un côté rétrogaming d’ENIAROF comme dans le jeu indé, c’est en privilégiant ce moment des bornes d’arcade dans les bars, ces agoras. Maintenant, une masse de gens joue avec un éventail de formes de jeu. »
Interview, page 126
Eddo Stern
© Clorinde Durand
« L’Américain Eddo Stern est artiste, game designer et fondateur du Gamelab de UCLA, le labo game design de l’Université de Californie Los Angeles. Celui-ci organise et programme le Game Art Festival, un mélange de festival de jeu indé, de joyeuse fiesta de fin d’année et de performances et happenings ludiques. ENIAROF comme le Game Art Festival sont à ses yeux des objets indispensables pour susciter la créativité hors de l’industrie, et pour valoriser le jeu vidéo dans toute sa diversité, loin du rouleau compresseur unificateur de l’industrie.
« Comment avez-vous connu ENIAROF ?
« L’un des projets du Gamelab de UCLA est l’arcade-sac à dos Arcade Backpack, un sac plutôt cool qui porte un serveur open source et des jeux faits par nos étudiants. Après que Douglas Edric Stanley est venu pour un workshop au Gamelab, puis à Swissnex en 2013, un événement partagé entre le Gamelab et la Suisse, Douglas et d’autres étudiants impressionnés par le projet ont voulu créer leur propre version. Nous avons rendu accessibles les plans. Ce sac, devenu le modèle de distribution portable du Gamelab, nous l’avons utilisé pour infiltrer les plus gros festivals comme l’E3, la GDC (la Game Developper Conference, réunion annuelle des designers de jeux) ou l’Indiecade. Nous avons échangé sur nos événements respectifs, celui que j’organise avec le Gamelab et ENIAROF, qui évoque un carnaval de jeux et d’extravagances.
« Ça a été chouette de découvrir que sans nous connaître, nous faisions la même chose. Le Game Art Festival de l’UCLA a débuté il y a 5 ans et a toujours été un mix de game art, de performance, de création de jeux vidéo à la croisée d’autres médias. ENIAROF a une approche similaire. Quand j’ai rencontré Antonin Fourneau, nous nous sommes découverts bien des vues identiques sur le jeu. C’est extrêmement rare de trouver des projets non commerciaux dans le jeu vidéo. Notre programmation est très extrême, anti-commerciale d’un point de vue dogmatique. Je m’évertue à préserver au moins l’illusion du non commercial pour que les game designers ne pensent pas en ces seuls termes. Sans les empêcher pour autant de réfléchir à la monétisation de leurs jeux. D’ailleurs, certains sont devenus des succès, comme « Nidhogg » de Mark Essen ou « Perfect Woman » de Lea Schoenfelder et Peter Lu, un jeu féministe qui sera porté sur X-Box.
« ENIAROF signifie fête foraine à l’envers. En Europe, les bornes d’arcade ont d’abord circulé à la campagne grâce aux foires. ENIAROF est une forme d’hommage à ce patrimoine. Est-ce la même histoire aux États-Unis ?
« Oh oui ! Le jeu vidéo a quelque chose à voir avec l’itinérance et le voyage. Dans l’Ouest d’antan, les grands spectacles itinérants de l’Ouest sauvage permettaient au public d’expérimenter le tir. C’étaient les prémices du carnaval. La première édition de notre festival en 2010 s’appelait d’ailleurs Game Lab Carnaval. Nous l’avons pensé comme une fête, en contradiction totale avec l’histoire des manifestations autour du jeu vidéo en Amérique. Que vous alliez à l’Indiecade, à la GDC ou à l’E3, les gens que vous croisez sont tous là pour vendre leur jeu. Notre festival illustre bien la bifurcation qui s’est produite au sein du jeu indé : d’un côté des gens qui sont “indés” parce qu’ils n’ont pas assez d’argent, de l’autre les gens qui sont “indés” parce qu’ils résistent au mainstream d’un point de vue théorique. Les manifestations de jeu vidéo qui ont pris le nom “indie”, plus précisément l’Independant Game Festival (IGF), ne célèbrent en aucun cas la contreculture mais valorisent la signature de contrats de distribution. Indiecade est un peu plus intéressant parce qu’il réunit les deux sens du terme indé mais il est quand même rempli de gens qui refilent leur carte de visite et cherchent à vendre leur jeu. Les festivals PAX à Seattle, Vector à Toronto et A MAZE à Berlin célèbrent au contraire une contre-culture avec énergie et ne cherchent pas à vendre des jeux, mais à leur rendre hommage. Nous, comme ENIAROF, tentons d’inventer une culture actuelle à un moment précis et dans un lieu donné. Ce n’est pas une passerelle vers un modèle commercial, l’événement crée sa propre valeur. Cette façon de penser permet de susciter la créativité dans un contexte qui n’est absolument pas celui de la distribution commerciale du jeu vidéo.
« L’industrie du jeu vidéo se déplace-t-elle au Game Art Festival ? Beaucoup d’observateurs d’ENIAROF déplorent que ce ne soit pas le cas en France.
« Notre situation n’est pas si différente mais peut-être pas aussi extrême dans la mesure où nous sommes à Los Angeles, une ville où l’industrie et la culture sont tellement liées que les frontières sont plus poreuses. Et puis, l’autre fait qui nous distingue est que le festival provient de UCLA, la plus prestigieuse université de Los Angeles et sans doute l’une des universités de premier plan aux États-Unis. C’est une institution avec une énorme crédibilité non artistique.
« L’industrie du jeu voit-elle ce festival comme bon pour le business ?
« Tout à fait. Ils voient le business, encore plus sans doute que dans un festival comme Games for Change à New York où ces dernières années, les plus grosses compagnies de l’industrie sont venues chercher le jeu qu’elles pourraient en sortir. Si l’industrie voit que le serious game (le jeu sérieux, des programmes informatiques de formation ou de propagande utilisant les techniques du jeu vidéo, ndlr) touche plus d’audience, elle y vient, si les jeux indés font parler d’eux, elle y vient.
« Peut-être ne vient-elle pas à ENIAROF parce qu’il s’agit d’un événement éphémère dont sortent très peu de “produits” ?
« C’est tout à fait ça. Il est très difficile de monétiser une sculpture de saut qui ressemble à un jeu. On peut évidemment penser à une monétisation. ENIAROF pourrait faire payer l’entrée comme dans un parc Disney ou un cirque. C’est une question de changement de modèle marketing. Si quelqu’un souhaitait investir de l’énergie entrepreneuriale pour un festival itinérant de jeu vidéo, un cirque vidéoludique ou un parc à thème jeu vidéo, cela pourrait aisément constituer le futur.
ENIAROF Moscou 2016. © Manuel Braun
« ENIAROF est proche de l’esthétique des Babycastles, de la scène 8bit, du DiY, du rétrogaming. Qu’en pensez-vous ?
« Par certains côtés, la nature nostalgique du rétrogaming m’ennuie. La nostalgie est une émotion compliquée, vraiment. Il y a cette façon de régurgiter les styles et les idées de façon commerciale, cynique ou tout du moins très avertie. Prenez la mode qui ne fait que régurgiter des styles anciens avec une forme de prédictibilité. La boucle nostalgique est une forme contemporaine de rejet de la culture dominante, ce n’est pas de la nostalgie progressive, mais de la nostalgie résistante conservatrice. Dire « je n’aime pas ce qui se passe mais c’était mieux avant », ce n’est pas la même chose que de dire « je n’aime pas ce qui se passe, essayons de faire quelque chose de différent ». Avec les jeux, la résistance est plus « cool », au sens où les amateurs de rétrogaming ne veulent pas de la dernière nouveauté mais qu’ils privilégient la créativité. Ceci dit, on en revient sempiternellement à la technologie. Un jeu 2D, comme tous ces jeux revisités un million de fois, les Pong, Pacman, Asteroids, Tetris, Space Invaders, Mario, sont basés sur des structures simples qui laissent la place à l’improvisation. Ces jeux offrent une toile vierge pour la créativité et l’improvisation.
« “Pong”, “Mario” ou “Tetris” ne font-ils pas partie de notre culture commune ? Ne pourrait-il pas s’agir d’un hommage, comme au théâtre on joue Shakespeare depuis des siècles ?
« C’est une parfaite définition du mot iconique. “Pong”, “Mario” ou “Tetris” sont les icônes du jeu vidéo. Ce sont des jeux très populaires qui incarnent à la perfection les mécaniques primaires du jeu vidéo toujours en cours aujourd’hui. Par exemple quand on dit jeu de plateforme, la plupart des gens pensent à “Mario”, si on dit jeu de tir, c’est “Space Invaders” auquel on pense… Ils sont nés à l’âge d’or du jeu vidéo, quand les concepteurs cherchaient à faire faire des choses amusantes à leur machine… Ces jeux sont malléables parce qu’ils sont une culture iconique simple et ouverte.
« ENIAROF, le Game Art Festival, le Copenhagen Game Collective, les Babycastles… tous ces gens qui jouent aux jeux sans suivre les règles de l’industrie apportent tout de même une nouveauté ?
« Ce qui est nouveau en un sens, c’est que leurs jeux ne sont pas carrés, que leurs frontières sont libres et dégagées, que leurs écrans ne sont pas parfaits et ne portent aucun logo corporate. Avec eux, le spectacle dure bien après minuit et le public est saoûl – à la fin de notre festival, c’est le cas ! Ils autorisent une forme de respiration spontanée, grunge, vivante, imprévisible, voire dangereuse, à cette culture très contrainte et sous contrôle. C’est très très différent des grosses conventions de jeu vidéo où l’on voit la dernière version de WoW. Au festival A MAZE à Berlin, tous les organisateurs sont bénévoles et leurs vieux PC sont mis bout à bout pour tenir jusqu’au bout de la nuit, avec un public qui prend des drogues et diffuse une tout autre énergie. J’y ai croisé des gens qui venaient d’Istanbul en train et de partout en Europe, comme pour un festival rock.
ENIAROF Moscou 2016. © Manuel Braun
« ENIAROF est né à l’intérieur d’une école d’art. Vous avez conçu votre festival depuis le département art de UCLA. Pourquoi ces formes de culture live du jeu vidéo naissent-elles dans des écoles d’art plutôt qu’au cŒur de l’industrie ou dans les écoles de game design ?
« Les écoles d’art ont une tradition d’externalisation du studio au moment de l’exposition de fin d’année, qu’elles ont toujours combiné avec un certain esprit de la fête. Le spectacle de fin d’année est la production finale du travail fait en école d’art, comme la projection serait le modèle de l’école de cinéma. J’ai proposé le festival dans la tradition de notre spectacle de fin d’année. La première édition était à moitié composée d’étudiants de UCLA et à moitié d’étudiants d’autres écoles de LA, l’année suivante nous avons élargi au-delà de LA, et l’an dernier au-delà des seuls étudiants.
« Cela a-t-il été difficile à imposer à UCLA ?
« J’ai l’impression d’avoir toujours dû mener une bataille contre la stigmatisation des jeux vidéos. En tant qu’étudiant en art, j’ai commencé à faire des jeux en 1996, à parler et convaincre des gens que le jeu vidéo était cuturellement intéressant et pertinent et pouvait être considéré comme une forme d’expression. Ça a été difficile pour moi mais ça ne l’est plus : j’ai dû parler à tellement de galeristes, de responsables de musées, d’administrateurs, que je sais maintenant quoi dire à qui. Aux curateurs du Sundance préoccupés par des questions sociales et qui pensent que le jeu n’est que pur divertissement, je montre “A force More Powerful”, qui enseigne la non-violence, ou, à l’opposé, “America’s Army” (le jeu réalisé par l’armée américaine pour recruter ses soldats, ndlr). Les gens du milieu de l’art attendent qu’on leur parle lieux d’art – “regardez j’ai montré mon jeu à la Kunsthalle de Düsseldorf et à la Tate de Liverpool”. Les gens pensent le jeu vidéo comme une entité unique, un objet d’entertainment pour enfants et jeunes adultes ou un produit violent… J’argumente qu’il y a une différence d’importance entre ce qu’ils en pensent, ce qu’en dit la télé ou les journaux et ce qu’est réellement le jeu. Nous devons demander aux institutions culturelles de mettre le jeu au premier plan, nous devons nous battre pour sauver les jeux en tant que média de la mainstreamisation corporatiste qui les guette.
ENIAROF Roubaix 2016. © Manuel Braun
« Et l’idée d’un livre de recettes pour reproduire les installations d’ENIAROF ?
« C’est une idée géniale. J’adorerais qu’ENIAROF vienne à Los Angeles et qu’on fasse une édition dans le désert ! »