Faire collectif

Le collectif : forme idéale de créations de nos futurs désirables, contre l'individualisme et la culture de la compétition néo-libérale.

Expériences collectives

À agrémenter avec vos récits et témoignages d'expériences collectives qui ont fonctionné / qui n'ont pas fonctionné.

Expériences collectives

Quand on oublie de prendre soin de nous

Expériences du Village de la Loire, collectif militant contre un aménagement routier controversé et destructeur, Mardié, Loiret (France) - 2019

 

Préambule

Ce texte a pour objectif de restituer des points d'erreur saillants dans la gestion d'un collectif de lutte. Il n'a en aucun cas vocation à minimiser les réussites réelles qui ont pu émerger des actions du collectifs et les moments de bonheur qu'il a permis. Il me semblait néanmoins important de proposer un contre-récit, qui est généralement celui qu'on ne voit pas, et qui porte des enseignements lourds de sens.

D'où on parle ?

Le Village de Loire est né de l'impulsion d'un petit groupe qui, contacté par des locaux exténués, en lutte depuis plus de vingt ans contre la construction d'un nouveau pont sur la Loire, a organisé un camp pour une semaine, en août 2019. L'idée était de proposer une semaine festive, colorée d'activités et de rencontres, en auto-gestion, dans l'objectif de construire un groupe qui souhaiterait rejoindre et poursuivre la lutte auprès des locaux - un nouveau souffle en somme, avec des modes opératoires différents et une dynamique collective. Les locaux plaçaient leurs espoirs dans cette relève de sang neuf, et la jeunesse de ce nouvel élan.

L'émulsion a pris, et cette semaine de camp s'est transformée en un temps beaucoup plus long de vie collective et de temps partagé d'Assemblées Générales fréquentes, d'actions qui ont eu lieu dans l'espace public et sur les internets, de commissions de travail qui se partageaient juridique, communication, stratégie de protection et de surveillance des bois menacés de coupe, élaboration de contenus argumentatifs et didactiques (sur la faune et la flore ligérienne, l'impact du trafic routier, les alternatives de mobilités écologiques, etc - voir https://levillagedelaloire.frama.wiki/)

Ce projet de construction de pont, et de la déviation routière qu'il implique, est engagé par le département du Loiret. Notre adversaire est institutionnel et semble tout puissant.

Le poids de l'espoir des autres

Le projet initial remonte au début des années 90 et la lutte était fédérée par un regroupement d'associations locales, La Loire Vivra, dans lequel l'association Mardiéval occupait (et occupe encore) une place prépondérante, menée par un leader qui n'est autre qu'un des propriétaires de la zone de bois à exproprier.

A la formation du collectif, pendant et après la semaine festive, nous avons ressenti la chaleur des locaux : nous représentions leur espoir pour l'avenir de la lutte. Ce sentiment a tout d'abord entretenu un climat de proximité et a permis la création de liens personnels plus forts. Nous étions parfois chouchouté·es par elleux. Néanmoins, porter les espoirs d'autres personnes peut être lourd et contraignant : on peut avoir l'impression de ne plus avoir le choix, d'être contraint·e de lutter, à une fréquence soutenue ; d'avoir peur de décevoir et donc dépasser les limites que l'on se fixe personnellement face à son engagement.

Ces sentiments peuvent alors avoir une portée tout à fait négative : désengagement, appréhensions, épuisement.

Fatiguer tout le monde

Nos AG, très fréquentes, duraient plusieurs heures et étaient donc épuisantes.

Nous avons mis en place dès le début des systèmes de gestion de réunion pour permettre à chacun·e de s'exprimer, à faire tourner la parole entre nous. Très vite, des personnes ont occupé une place plus grande : prise de parole à rallonge, intervention entre chaque prise de parole, répétitions et allongement du temps des réunions. Nous avons eu du mal à réagir rapidement face à ces comportements, ce qui a eu pour conséquence d'affirmer des positions surplombantes de certaines personnes et de les conserver dans le temps.

Le modèle des AG à rallonge est épuisant pour les personnes et ne convient pas à remplir nos objectifs. Il est attendu d'une AG : 1. une transmission des informations à l'ensemble du groupe, 2. des prises de décisions collectives. Je rajouterai qu'il serait nécessaire que l'AG propose également un temps convivial et/ou d'expression libre, qui contribuerait à : accueillir les personnes nouvellement arrivées, mettre à l'aise l'ensemble des participant·es, consolider les liens entre les personnes du collectif et à partager ses émotions et ressentis au fil de la lutte.

Pourtant, nous planifiions ces réunions avec un ordre du jour, auquel nous tentions de fixer des limites-temps, mais le système nous dépassait sans cesse. S'étalant de 3 à 4 heures, ces AG étaient en réalité des gouffres où les points a priori rapides, peu urgents et peu préoccupants, provoquaient des débâcles de plus d'une demie-heure (ex. "est-ce que je crée une liste mail pour la coordination ?"). Se terminant tard le soir, il était dès lors impossible de rester pour passer un moment convivial et chacun·e retournait vite chez soi. Peut-être le plus gros défaut que nous avons constaté, est que les personnes n'étaient pas suffisamment invitées à prendre la parole de façon concise, et certaines interventions, parfois hors de propos, s'étalaient dans le temps -faute, à mon avis, d'un système de signes ou de consignes claires qui aurait permis de clôturer ou de reporter ces interventions, sans toutefois être violente.

Être des super-héro·ïnes

La lutte contre un adversaire institutionnel (le Département) est délicate car nos forces ne sont pas égales.

Nous avons adopté une posture héroïque qui propageait le mensonge de notre puissance infaillible, d'égale à égale avec cet adversaire. Nous y détenions la Vérité, nous avons élaboré des stratégies sans tenir compte de nos propres forces (ex. défendre une forêt par notre présence lorsque nous sommes une trentaine d'actif·ves). Nos discours et nos communications ne laissaient jamais transparaître la fragilité de notre collectif et de notre lutte, pourtant évidente (une cinquantaine de citoyen·nes pèsent peu face à un Conseil Départemental et son cortège de forces symboliques et réelles) : il était important de nous montrer sous notre meilleur jour, d'enjoliver cette vision, de toujours paraître nombreux·ses et uni·es.

Cette posture nous accompagnait dans nos communications (médias, web) où nous utilisions le vocabulaire guerrier et combattif. Nous savons aujourd'hui que, s'il est capable de fédérer certaines personnes, ce champ lexical et la ponctuation qui l'accompagne peuvent rebuter de façon plus importante. Ce n'est pas un choix de formulation qui accueille ni invite, il ne promeut pas la bienveillance et crée un visage de lutte frontal qui renvoie finalement à tout ce que nous cherchons à combattre : un modèle colonisateur et compétitif.

Il nous semble aujourd'hui que nous ne pouvons, ni ne devons lutter avec les mêmes armes que notre ennemi ; or cet imaginaire guerrier prêt-à-en-découdre et infatigable est un mensonge qui caricature la lutte et gomme le modèle politique et philosophique de société que nous invitons à découvrir et qui guide nos actions. Tout d'abord, il n'est pas le reflet des personnes qui composent la lutte. Ensuite, il apparaît comme violent et vindicatif aux curieux ou aux personnes à convaincre (ce qui est un frein conséquent à l'adhésion de l'opinion publique). Enfin, il enferme les militant·es ils·elles mêmes dans un modèle où les doutes, les peurs et les appréhensions sont tues, ce qui nuit au respect des personnes et à la structure même du collectif : injonctions à refouler sa tristesse, passage sous silence de la fatigue et de l'épuisement des membres du collectif, inhibition des émotions et sentiments "qui pourraient nuire à la lutte", départ des personnes... le collectif a diminué de moitié.

Lae meilleur·e militant·e

Ce type de discours est extrêmement répandu dans les luttes, or il contribue à alimenter un mythe persistant mais stupide : on juge la valeur du·de la militant·e au nombre de force, d'épuisement et de souffrance qu'il·elle donne à la lutte ou que la lutte lui fait subir.

On entend souvent que les militants "vont jusqu'au bout", ne s'arrêtent jamais, donnent tout, sont extrémistes. Pourtant, parmi tous les militants qui constituaient notre collectif, il y avait, certes, des jeunes capables de beaucoup et qui ne comptaient pas, mais il y avait aussi des retraités, des personnes malades, des personnes qui n'étaient pas là très souvent, des personnes qui étaient essentiellement actives sur l'écriture du mémoire juridique, d'autres qui contribuaient de temps en temps à une affiche ou un post sur les réseaux sociaux, celles qui n'étaient là que ponctuellement, d'autres qui ne venaient que participer aux actions... Il semble ridicule de chercher à faire le tri dans les militant·es, avec d'un côtés celleux qui seraient "les vrai·es" et "les autres".

De la même façon, il nous paraît idiot de trier celleux qui avaient fait le choix de dormir sur place et qui consacraient tout leur temps à la lutte, et les autres qui y agissaient en parallèle de leur travail, de leur vie familiale... Cet "élitisme" de la lutte est lui aussi issu d'un mode de conception du monde binaire et absurde, que nous nous efforçons de combattre.

Assumer nos faiblesses

Défendre un modèle de compassion, de bienveillance et d'attention aux autres et à son environnement, devrait implicitement s'exprimer dans le fonctionnement du collectif qui prône ces valeurs. Laisser la place à l'expression de ses doutes, de ses peurs, laisser couler ses larmes et les partager à plusieurs après une fatigue intense ou un événement difficile, devrait être normal. De la même façon que nous partageons notre enthousiasme, nos joies et nos victoires.

Nos faiblesses sont grandes, et c'est une erreur que de chercher à les cacher. Nous avons le droit d'être faibles, de se sentir faibles, cela ne nous empêche pas d'essayer. Reconnaître ses faiblesses n'est pas un frein, mais au contraire un constat réaliste de sa situation, qui amène à une prise de recul et l'élaboration de stratégies adaptées (pour le collectif et pour la lutte).

Sous prétexte d'une image publique à défendre, nous avons fait l'erreur de ne pas reconnaître nos faiblesses. Aujourd'hui, nous nous demandons si reconnaître publiquement ses faiblesses et ses erreurs, face à un adversaire qui ne le fait jamais (je parle toujours du Département), n'aurait pas davantage eu un effet positif sur l'adhésion du public à notre cause.

On n'a pas le temps, y a urgence !

La bataille que nous avons menée, qu'elle se passe sur le terrain des médias ou dans les bois eux-mêmes, est un maillage d'actions et de réponses, qui se déroule parfois à une vitesse frénétique. Le temps semble souvent manquer pour répondre à tel chantier qui commence, ou à tel article publié. Les militant·es ne comptent plus leurs heures et l'épuisement est fréquents (avec les crises de nerfs et/ou de larmes auxquelles il aboutit souvent).

Nous avons eu tort de croire qu'évoquer notre bien-être était une question secondaire. Lors de nos réunions ou de nos AG, nous répondions à des urgences qui se profilaient, sans jamais se donner le temps de remettre en question cette urgence. Il fallait toujours aller vite. Si vite, qu'il était devenu impensable de parler de notre état. Rien n'était plus important que la lutte et nos réponses face aux attaques de l'adversaire. A ce rythme, le collectif s'amenuise comme peau de chagrin.

Questionner la façon dont nous nous sentons et ce que nous éprouvons n'est pas une question secondaire, mais la base qui soutient toute action et toute réflexion. Tant que nous ferons passer cette question au second plan, nous ne pourrons maintenir le collectif et être efficace dans ce que nous entreprenons. C'est également pourquoi débriefer après chaque action est essentiel : recenser la façon dont chacun·e a vécu l'événement mène à transformer nos manières d'agir pour s'améliorer collectivement.

Dès lors, il semble essentiel d'aménager des temps dévolus à ce partage : c'est une façon de prendre la température globale et de réajuster nos stratégies à la lumière de cet éclairage. En plus, cela offre un temps de "pause" dans les réflexions et actions stratégiques et consolide les liens qui se tissent plus étroitement et durablement entre les personnes du collectif.

Reproduction des oppressions à l'intérieur du collectif

J'ai subi des humiliations sexistes de la part d'un camarade de lutte. Ce dernier avait une attitude que nous étions la plupart à contester : posture omniprésente, autoritaire, de "chef", prises de paroles incessantes, revendication de son rôle essentiel à la lutte, suggestions d'idées et d'actions continuelles mais absence de leur mise en pratique, etc. A quelques uns, nous avons plusieurs fois essayé de lui parler de son attitude afin de la changer. Peine perdue, j'ai été congratulée d'un mail incendiaire, humiliant et sexiste.

Ma première intention était de dévoiler le contenu dudit mail à l'ensemble du collectif : "regardez ce qu'il se passe, afin que nous y trouvions une solution ensemble". Mes ami·es m'ont finalement convaincue de le garder pour moi afin qu'on trouve une solution "entre nous". Cette erreur a eu des répercutions dramatiques : le manque de communication et d'information à l'ensemble du collectif a créé un phénomène de scission du groupe, entre avertis et non-avertis, alimentant une situation de non-dits qui émergeaient de façon fugitive par de courtes allusions en AG. Conscients d'un malaise, les membres du collectif "non-avertis" on présupposés de la situation, ce qui a alimenté des erreurs de jugement et de fausses impressions sur d'autres membres du collectif.

La situation a tout d'abord été particulièrement pénible pour moi, victime de cette situation qui devait me comporter comme si rien ne s'était passé. Elle a aussi été problématique pour mes proches qui ont alimenté une colère à l'encontre de cette personne, si présente dans le groupe. Enfin, elle a nuit à l'ensemble du collectif par ricochets et incompréhensions.

A ce stade, le collectif s'était réduit à une poignée. Après avoir mis en pause quelques temps mon investissement au sein de la lutte, je retourne à une AG pour discuter d'un point précis dont j'avais la charge. Quand je le vois, je souhaite de suite partir. Je rassemble mes forces, difficilement, pour parler, mais c'est au-dessus de mes forces. Je m'excuse auprès des autres, leur explique que "dans ces conditions, je ne peux pas". Mais ce n'est pas assez explicite. Je sors, deux me courent après ; on me dit : "La lutte est plus importante que ça !"

Non, la lutte n'est pas plus importante que ça, et si le collectif ne le comprend pas, c'est qu'il est corrompu.

Parler d'oppressions de genre, de violence, n'a servi à rien. Le collectif a décliné. Aujourd'hui, la lutte continue sous l'impulsion verticale de 3 personnes (qui ont provoqué ou consenti à ces violences). En 2019, nous étions une cinquantaine foisonnante et prolifique.

 

Méthodes et pratiques collectives

Pour faire collectif sereinement et efficacement.

Méthodes et pratiques collectives

Ynestra King - "Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution"

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Méthodes et pratiques collectives

Activisme et traumatisme (brochure)

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Brochure PDF téléchargeable en ligne :
https://www.activist-trauma.net/assets/files/trauma_flyer_french_A5_v1.pdf

Méthodes et pratiques collectives

David Vercauteren, Micropolitiques des groupes, pour une écologie des pratiques collectives.

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Résumé :

David Vercauteren est un militant Bruxellois, passé des Verts pour une gauche Alternative (VeGA) au Collectif Sans Nom puis au Collectif Sans Ticket. Avec

Partant du principe qu’« on ne naît pas groupe, on le devient », David Vercauteren examine les conditions de possibilité d’un véritable fonctionnement collectif des collectifs militants. Il essaye d'élaborer un ensemble d'outils théoriques visant à nourrir l'émergence de nouvelles formes d'organisations politiques "à distance des habitudes psychologisantes (ndlr : et individualisantes), replis identitaires et autres passions tristes". À l'aide d'une "culture des précédents", il expose les impensés récurrents des formations collectives et analyse un ensemble de "situations problèmes" afin de donner aux groupes les moyens de s'en prémunir.

Notes de Meven :

Il est difficile de d'être exhaustif ou ni même concis à propos de ce livre qui est un large abécédaire de situations problèmes, à multiples entrées, d'"Artifices" à "Théorie" en passant par "Évaluer", "Parler", "Rôles", ou encore "Soucis de soi".

D'après le descriptif des "mode(s) d'usage(s)" suivant l'introduction, le lecteur est invité à entrer par le mot-clef qui l'intéresse puis à sauter de texte en texte selon sa recherche, la fin de chaque entrée en proposant d'autres pour la prolonger. Cependant, deux circuits de lectures plus "balisés" sont aussi proposés : un "itinéraires pour un groupe qui se forme" et un "itinéraire pour un groupe en crise".

Au-delà de ce parcours, le livre est accompagné d'un lexique, mais aussi d'une traduction (relue et corrigée par Isabelle Stengers) des rôles décrits par Starhawk dans Truth or Dare. Ces rôles, portraits éthologiques de "rôles implicites" ou "(pré)acquis" que l'on retrouve plus ou moins dans la plupart des groupes, sont des dispositifs devant permettre de se rendre sensibles à différents types d'aspects de la vie du groupe qui sinon passent à la trappe s'ils ne sont pas explicités. S'ajoutent un certain nombre de fonctions (le guetteur d'ambiance, le médiateur, le coordinateur, etc.) pouvant aider le groupe à résoudre des problèmes auxquels il se sent confronté, permettant à chacun·e d'avoir un apport particulier et reconnu par le groupe, et enfin, aidant chacun·e à prendre des distances avec la manière habituelle qu'il a de faire dans le groupe.

Consulter l'ouvrage :

Micropolitiques des groupes, pour une écologie des pratiques collectives est disponible entièrement en ligne. Il a aussi été réédité aux éditions Amsterdam en 2018.

Citer l'ouvrage :

Vercauteren, D. (2018). Micropolitiques des groupes : Pour une écologie des pratiques collectives. Amsterdam.


Cette fiche a été précédemment publiée sur l'espace ressources numérique de l'association PiNG.

Licence Creative Commons
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Méthodes et pratiques collectives

Débat sur les débats : trucs et astuces de l'expression et débats collectifs

Dans cette brochure, vous trouverez des retours d'expériences et quelques éléments pratiques pour faciliter l'expression et la prise de décisions collectives.

Ici et lecture

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À NOS POUVOIRS D’AGIR

14.15.16 juin 2022
au Funlab à Tours

ATELIERS * CAUSERIES * FANZINE

De 14h à 20h au 49 bd Preuilly
Participation libre
www.lafun.fr / FB : Le Funlab - fablab de Tours
Festival ouvert à TOUSTES

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Introduction

La FUN initie un micro-festival /// makeHERspace /// afin d’éclairer de mille feux les pratiques d’empuissancement, les savoirs situés et les imaginaires écoféministes dans les lieux de culture technique tels que les fablabs, hackerspaces, makerspaces et autres ateliers partagés de fabrication.

Tous les jours de 14h à 20h : ateliers de partage de pratiques et de création, rencontres, production collective d’un fanzine et causeries. Après 20h, la soirée se poursuit de-ci de-là dans des jardins, avec des surprises pour les papilles, les yeux et les oreilles.

Une édition zéro qui démarre à Tours et qui s’invente avec d’autres ateliers et initiatives “soeurs” : Les portes logiques (Quimper), A3 (Paris), Fablab de la Verrière (Montreuil), ArtLab (Tours/Paris), Ecopia (Tours) Espace Mendes France (Poitiers) HF Centre Val de Loire, FEDELIMA, Réseau Université Pluralité. La création du visuel et le design de l'affiche ont été confiés à l'artiste illustratrice Louise Drul.

Participation libre - Festival ouvert à TOUSTES.
Evènement organisé avec le soutien de la Région Centre Val-de-Loire dans le cadre de Human Tech Days 2022.

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Bibliographie

Petite bibliographie contributive de l'évènement makeHERspace

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Ouvrages :

Fanzines

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Playlist

Créations sonores

Soirée jardin sonore mercredi 15 juin 2022 > Sélection de créations sonores et playlist PunkGirls proposées par Florence Cherrier (ArtLab)

#making waves 2

Reversible Cords - Teen Orgy
The Nixe - Searching
Brilliant Colors - Motherland
Medical Tourists - Impatient Patient
Toxic Shock - Intoxicated
Nuclear Crayons - Catwalk
Lili Zeller - Candeggina Burns
Look Blue Go Purple - Circumspect Penelope
Jeff and Jane Hudson - Pound, Pound
Sis Q Lint - Dog Sweaters

#making waves 1

Jeri Rossi - I Left My Heart But I Don’t Know Where
Dolly Mixture - Shonay Shonay
All Girl Summer Fun Band - Charm Bracelet
Finally Punk - Environmentality
Ludus - Too Hot To Handle
The Petticoats - I’m Free
Chalk Circle - Easy Escapes
LiLiPUT - In A Mess
The Bags - Violent Girl
Devil’s Dykes - Fruitless

#making waves 1

The Chefs - 24 Hours
SST - Empty
Algebra Suicide - No War Bride
Brabrabra - Tropical Sensation
Pervers - Freude am Tanz
Rebby Sharp - I’m So Hot
Generation Loss - Turnaround
Fifth column - The Fairview Mall Story
Sex Crime - Too Many
1The Courtneys - Kc Reeves

Collectifs et réseaux

Podcasts

Radio / Émissions de radio

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Qui sont-elles ?

WHO’S SHE ? est un jeu de plateau sur les femmes inspirantes qui ont changé le monde créée par Zuzia Kozerska-Girard. Il invite à deviner les identités de ces femmes en posant des questions sur leurs réalisations et non pas sur leur apparence. Modulaire, le jeu propose différents sets de cartes avec des notices biographiques additionnelles. Et si nous fabriquions un nouveau set mettant à l’honneur des portraits qui nous tiennent à cœur ?

Qu’elles soient philosophes, microbiologistes, écrivaines de science-fiction, cyberféministes, poétesses, activistes anti-nucléaire, meneuses de cérémonies païennes, réalisons ces portraits en prenant pour appui les ouvrages de nos bibliothèques trans-féministes, d’encyclopédies collaboratives ou d’archives militantes.

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Les cartes créées durant le festival concernent les personnes ci-dessous : 

Constance de Théis/Constance De Salm

Poétesse - Autrice - Femme savante

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Jean Baptiste François Désoria- Portrait of Constance Pipelet - 1939.533 - Art Institute of Chicago.

Née Constance Marie De Théis à Nantes, elle reçoit une éducation savante. Elle commence à écrire de la poésie en 1785. Constance se fit connaître dès l'âge de dix-huit ans par des poèmes publiés dans l’Almanach des Muses, notamment une romance intitulée Bouton de rose, qui eut un succès durable une dizaine d'années plus tard quand Pradher mit une musique sur les paroles que Jean Garat interprétait dans les salons du Directoire en l'honneur de Joséphine Bonaparte.

Femme engagée, passionnée, aux qualités littéraires reconnues, son succès porte ombrage à quelques hommes de lettres en place. En 1797, dans son Épître aux femmes, elle fait écho à un célèbre poète de l’époque, Ponce-Denis Écouchard-Lebrun, qui incite les femmes à rester dans l’ombre comme dans un de ses poèmes où il écrit : « Voulez-vous ressembler aux Muses, Inspirez, mais n’écrivez pas ». La réponse de Constance D.T. Pipelet provoque un véritable enthousiasme du monde intellectuel et plus généralement des citoyens qui l'arrêtent dans la rue pour l'ovationner. Elle y réclame, sur un mode logique et raisonné, une égalité harmonieuse entre hommes et femmes dans l'instruction et les tâches quotidiennes avec une pointe de féminisme moins revendicative que celle d’Olympe de Gouges. On trouve dans l'Épître : « Les temps sont arrivés, Femmes éveillez-vous... », « Différence n'est pas infériorité. »Elle donne plusieurs lectures publiques de ses poèmes "féministes" (femme écrivaines, mariage, divorce, contre la politique de Napoléon).

En 1793, sous la Terreur, Constance quitta la capitale pour le castel familial de l'Aventure à Autreville. Elle y demeura pendant environ un an, année qu'elle mit à profit pour s'occuper de sa fille et rédiger Sapho, sa première tragédie lyrique en vers. Mise en musique par Martini, la première aura lieu le 17 décembre 1794 au théâtre des Amis de la Patrie. La pièce sera jouée plus de cent fois, soutenue par la critique.

En 1799 elle divorce puis se remarie , « à cause des rapports de caractère et d'âme qui existent entre nous », Constance de Théis épousa en secondes noces Joseph de Salm-Reifferscheidt-Dyck en 1803 et vit entre l'Allemagne et la France.

Marie Skłodowska-Curie

Physicienne

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Marie Curié par Henri Manuel - Christie's

Née le 7 novembre 1867 à Varsovie et morte le 4 juillet 1934 à Passy, est une physicienne et chimiste polonaise, naturalisée française par son mariage avec le physicien Pierre Curie en 1895.

En 1903, Marie et Pierre Curie (1859-1906) partagent avec Henri Becquerel le prix Nobel de physique pour leurs recherches sur les radiations (radioactivité, rayonnement corpusculaire naturel). En 1911, elle obtient le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur le polonium et le radium.

Scientifique d'exception, elle est la première femme à avoir reçu le prix Nobel et, à ce jour, la seule femme à en avoir reçu deux. Elle reste la seule personne à avoir été récompensée dans deux domaines scientifiques distincts. Elle est également la première femme lauréate, avec son mari, de la médaille Davy de 1903 pour ses travaux sur le radium.

Azza SOLIMAN

Avocate - Militante des droits humains

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Photo d' Azza Soliman par J266 — Travail personnel, CC BY-SA 4.0

Née en 1968 est une avocate et une militante des droits des femmes égyptienne. Elle a notamment crée le Centre for Egyptian Women's Legal Assistance, a été plusieurs fois arrêtée et poursuivie. Plus récemment elle a témoigné sur la mort d'une manifestante, Shaimaa SABBAGH, tuée par la police égyptienne et fait l'objet de mesures de rétorsions (financière, interdiction de quitter le territoire, saisie des biens mobiliers et immobiliers).

Emily SHORT

Autrice de jeux vidéo

Emily Short par Ben Collins-Sussman

Emily Short est une autrice, critique et penseuse de fiction interactive très influente qui constamment à repoussé les limites technique et narrative de ce medium. En 2000, elle publie GALATEA, sa première fiction interactive qui met en scène la psychologie de personnages secondaires complexes. Ce jeu bouleverse la communauté d'auteurs et de joueurs, et remporte de nombreux prix. Elle contribue également largement à la création d'INFORM 7, un outil qui change radicalement l'écriture de ce type d'œuvre littéraires interactives. A partir de 2011, elle crée et contribue à plusieurs entreprises qui explorent l'émotion, la narration et les technologie informatiques, dont l'IA. 

Kathleen Hanna

Chanteuse - Miliante Féministe, LGBT+, Antiraciste

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Kathleen Hanna par Denis Gray (denisgray@hotmail.com) avec Bikini Kill - 17 January, 1996 - Annandale Hotel, Sydney Australia

Née en 1968, Kathleen Hanna propose à Tobi Vail, chroniqueuse d'un fanzine féministe, de former un groupe de musique. Elles s'associent avec deux autres musiciennes, Billy Karren et Kathi Wilcox, et nomment leur groupe Bikini Kill. Lors des concerts du groupe, une nouvelle règle s'impose : celle du « Girls to the front », qui invite les filles à venir en première ligne à la place des garçons.

Kathleen Hanna écrit la majorité des chansons du groupe, dont les thématiques sont féministes : violences faites aux femmes, viol, droit à l'avortement. Lors de ses concerts, Kathleen Hanna n'hésite pas à s'inscrire des insultes sur le torse telles que « slut » (salope) ou « bitch » (pute). Une manière pour elle de se réapproprier les insultes faites à son encontre. De plus elle demande que tout comportement sexiste lui soit notifié, allant jusqu'à arrêter des concerts.

Le groupe est aujourd'hui considéré comme fondateur du mouvement Riot Grrrl, une tendance musicale des années 1990 à la croisée du punk rock et du rock alternatif. Outre la musique , le mouvement dont elle fait partie promeut la production de fanzines auto-édités et la sororité: l'objectif étant la "Girl Revolution Now!". S'il y a un peu plus de nana dans le punk , c'est aussi grâce à elle.

Margaret Hamilton

Programmeuse - Cheffe d'entreprise

Margaret Hamilton par Daphne Weld Nichols

Née en 1936 Margagret Heafield est une informaticien , ingénieur système et cheffe d'entreprises américaine. Elle était directrice du département génie logiciel ("sotfware engineering, terme de son invention) au sein du MIT Instrumentation Laboratory qui conçut le système embarqué du programme spatial Apollo.

Neri Oxman

Architecte - Designer

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Neri Oxman par Joi.

Née le 6 février 1976 à Haifa, est une architecte et designer israélo-américaine, connue pour son travail en architecture bioclimatique et en morphogenèse numérique. Depuis 2010, elle enseigne au Media Lab du Massachusetts Institute of Technology (MIT), où elle devient aussi fondatrice du groupe de recherche Mediated Matter.

De nombreux projets utilisent de nouvelles plates-formes et techniques d'impression et de fabrication 3D. Ils comprennent des systèmes de co-fabrication pour la construction de structures hybrides avec des vers à soie, l'imprimante 3d pour le verre transparents... D'autres projets (vêtements, éléments structurels...) fait appel à la conception et l'impression de nouveaux matériaux composites (comme des résines contenant des bactérie biosynthétiques).

Rivers Solomon

Ecrivain(e)- Militant(e) Politique Anarchiste, Antiraciste, LGBT +

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Né(e) en 1989, Rives est un(e) écrivain(e) non binaire et anarchiste associé(e) à la science fiction et l'afro-futurisme. Féministe et queer iel écrit des romans et des nouvelles d'anticipation sur les questions de genres et de ségrégation raciale.

Rivers Solomon est diplômée en études comparatives raciales et ethniques à l'université Stanford, ainsi qu'en écriture créative au Michener Center for Writers de l'université du Texas à Austin.

En parallèle à son travail d'écriture, elle est consultante (« sensitivity reader ») auprès d'autres écrivains qui abordent des sujets sensibles, tels que la couleur de peau ou le handicap. 

Simone Giertz

Inventrice - Roboticienne

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Simone Giertz par Glogger au Palais des Arts building à San Francisco.

Inventrice et roboticienne autodidacte suédoise, elle crée des robots "inutiles" pour tenter de résoudre des problèmes du quotidien. Elle est vidéaste et animatrice et partage ses expérimentations avec beaucoup d'humour sur sa chaîne Youtube, depuis 2013. Elle a également présenté une conférence TedX en 2018 "Pourquoi vous devriez fabriquer des choses inutiles".

Ynestra King

Autrice - Enseignante - Militante écoféministe

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Ynestra King est une écrivaine, enseignante, activiste états-unienne et l’une des premières théoriciennes de l’écoféminisme.

En 1979, en Pennsylvanie, le cœur d’un réacteur de la centrale de Three Mile Island fond partiellement, laissant échapper de la radioactivité dans l’environnement. En réaction à cette catastrophe, elle fonde le premier collectif écoféministe nord-américain : Women and Life on Earth.

Elle fut l’une des organisatrices de la Women’s Pentagon Action en novembre 1980. Cette action a réuni 2000 femmes se dirigeant en procession, en chantant et dansant, vers le Pentagone, symbole de la puissance américaine. Lors de cette performance, elles réclament l’égalité des droits sociaux, économiques et reproductifs, la fin des actions militaires, de la course au nucléaire, la fin de l’exploitation des humains et de la planète.

Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution est un texte référent d’introduction à l’écoféminisme états-unien des années 1980.


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Atelier d'écriture SF féministe

Animé par Ketty Steward, autrice.

Il s’agira, après une discussion sur ce qu’est la science-fiction, ce qu’elle permet et la place qu’elle laisse aux femmes et à tous celleux qui ne sont pas des hommes blancs valides cis et hétéros, de démonter ensemble un texte de SF de l’âge d’or (années 50) et de le remonter en introduisant des problématiques associées au quotidien des femmes, dans ce temps-là et encore aujourd’hui.

Atelier d'écriture à partir du texte suivant :

UN MAUVAIS JOUR POUR LES VENTES – Fritz Leiber


Le propre d’une machine efficace, c’est de remplir, quoiqu’il arrive, sa fonction. D’être par exemple, comme Robie, le vendeur polyvalent, acharné, courtois, impossible à décourager, suprêmement adaptable à la personnalité du client, un rouage idéal de la machinerie plus vaste et plus complexe de la société. Mais qu’arrive-t-il quand c’est cette grande machine sociale qui se détraque ? Quand le ciel s’embrase et que les clients s’évanouissent ? Il en faut plus pour désarmer Robie…

Les grandes portes métalliques de l’immeuble s’ouvrirent avec un bruit pneumatique. Robie sortit et glissa vers Times Square. Une fille haute de quinze mètres s’habillait sur un panneau publicitaire. En lettres géantes, une bande lumineuse donnait les dernières nouvelles de la Trêve Ardente. La foule détourna les yeux et se pressa pour voir Robie.

Car Robie était encore une nouveauté – et une nouveauté amusante. Pendant un certain temps encore, il aurait la vedette. Mais il n’en était pas plus fier pour cela. Il n’éprouvait pas davantage d’émotions que la géante de plastique rose qui s’habillait et se déshabillait sans fin, qu’il y eût foule ou que la rue fût déserte, et dont les yeux bleus mécaniques ne cillaient jamais. Elle attirait la clientèle mais lui, Robie, allait la chercher.

Robie représentait en effet l’aboutissement logique des progrès réalisés dans le domaine des distributeurs automatiques. Tous les modèles antérieurs demeuraient immobiles et se contentaient de fournir impassiblement de la marchandise en échange de pièces de monnaie, tandis que Robie partait à la recherche des clients. Il était le prototype d’une série de robots-vendeurs que comptait fabriquer la Compagnie Shuler, à la condition que le public achetât suffisamment d’actions pour fournir à la Compagnie le capital indispensable pour passer à la production en série.

La publicité que faisait Robie stimulait activement les placements. C’était amusant de connaître ses exploits par la télévision ou par les journaux, mais c’était beaucoup plus drôle d’avoir affaire directement à lui. Ceux à qui cela arrivait achetaient généralement de une à cinq cents actions, s’ils avaient de l’argent et s’ils étaient assez perspicaces pour se rendre compte qu’un jour ou l’autre on rencontrerait des robots-vendeurs dans toutes les rues et sur toutes les routes du pays.

Robie scruta la foule au radar, s’aperçut qu’elle formait autour de lui une masse compacte et s’immobilisa. Capable, grâce à son programme, de choisir le moment favorable, il attendait, pour parler, que la tension et la curiosité de cette foule eussent atteint le niveau requis.

« Dis, maman, il n’a pas du tout l’air d’un robot, fit un enfant. On dirait une tortue. »

La comparaison était assez exacte. La partie inférieure du corps de Robie était constituée par un hémisphère de métal bordé de caoutchouc mousse, qui ne touchait pas tout à fait le trottoir. La partie supérieure était une boîte de métal percée de trous sombres. La boîte pouvait pivoter et s’incliner. On eût dit une robe à crinoline en métal chromé, surmontée d’une tourelle.

« Ça me rappelle un peu trop les parachars Little Joe », marmonna un cul-de-jatte, vétéran de la guerre de Perse, en se sauvant sur des roulettes assez semblables à celles de Robie.

Son départ permit aux spectateurs qui connaissaient déjà Robie de lui ménager une allée dans la foule. Il se dirigea droit vers la brèche. La foule poussa des cris de joie. Robie glissait lentement, s’écartant adroitement chaque fois qu’il approchait un peu trop de chevilles gainées de skylon ou de pieds chaussés de socassins. Le bourrelet de caoutchouc, au bas de sa jupe, ne constituait qu’une protection supplémentaire.

Le petit garçon qui avait comparé Robie à une tortue alla se planter au milieu du passage, un sourire malicieux aux lèvres.

Robie s’arrêta à deux pas de lui. La tourelle s’inclina. La foule fit silence.

« Salut, mon enfant », dit Robie d’une voix aussi sucrée que celle d’une vedette de la télévision. C’était d’ailleurs un enregistrement de l’une d’elles.

Le petit garçon cessa de sourire.

« Salut, murmura-t-il.

— Quel âge as-tu ? demanda Robie.

— Neuf ans… Non, huit.

— Très bien, très bien », fit Robie.

Un bras de métal jaillit de son cou et stoppa au moment où il allait toucher l’enfant.

Celui-ci fit un bond en arrière.

« C’est pour toi », dit Robie.

Le gamin saisit avec précaution la sucette rouge que lui tendaient les serres de métal poli et commença à enlever le papier.

« Qu’est-ce qu’on dit ? demanda Robie.

–… Merci. »

Après le silence de rigueur, Robie poursuivit : « Et maintenant, que dirais-tu d’un bon verre de Poppy Pop pour faire passer ta sucette ? »

Le gamin leva les yeux, tout en continuant de lécher sa sucette. Les serres de Robie s’agitèrent. « Donne-moi vingt-cinq cents et, en cinq secondes… »

Une petite fille se dégagea de la forêt de jambes.

« Donne-moi une sucette, à moi aussi, Robie », demanda-t-elle.

— Rita ! Viens ici tout de suite ! »

C’était la voix irritée d’une femme au troisième rang, dans la foule.

Robie examina gravement la nouvelle venue. Ses circuits de références n’étaient pas assez précis pour lui permettre de distinguer le sexe des enfants, aussi se contenta-t-il de répéter : « Salut, mon enfant !

— Donne-moi une sucette !

— Rita ! Je vais me fâcher ! »

Sans prêter attention à ces appels – car un bon vendeur n’a qu’une idée en tête et ne gaspille pas ses échantillons – Robie reprit d’un ton enjôleur :

« Je parie que tu lis Les Jeunes Tueurs de l’Espace ? Eh bien, j’ai ici…

— Mais non, je suis une fille. Lui, il a eu une sucette. »

Au mot « fille », Robie s’interrompit. Il se reprit.

« Je parie que tu lis Gigi Jones, l’Effeuilleuse de l’Espace. Justement, j’ai ici le dernier numéro de cette publication sensationnelle, qui n’est pas encore en vente dans les distributeurs automatiques fixes. Donne-moi cinquante cents et, en cinq secondes…

— Laissez-moi passer, je suis sa mère. »

Une jeune femme, au premier rang, se retourna et dit : « Je vais vous la rattraper. » Elle s’avança sur des semelles compensées hautes de quinze centimètres. « Allez-vous-en, les enfants », dit-elle d’une voix de vamp. Croisant les mains derrière la nuque, elle pivota lentement devant Robie pour lui montrer des avantages que mettaient en valeur son boléro et son fuseau de skylon. La petite fille lui lança un regard furieux. La jeune femme s’immobilisa pour que Robie puisse apprécier son profil.

Pour les individus de cet âge, les circuits de référence de Robie lui permettaient de reconnaître les sexes, bien qu’il se produisît parfois des confusions amusantes ou embarrassantes. Il émit un sifflement admiratif. La foule l’acclama.

Quelqu’un dans la foule s’exclama d’un ton aigre :

« Ce serait quand même mieux s’il était bâti comme un vrai robot, c’est-à-dire comme un homme…

— Mais non ! répliqua un voisin. C’est plus raffiné comme ça. »

Personne ne lisait plus les nouvelles qui défilaient toujours en haut de l’immeuble :


LA BANQUISE D’ACCORD POUR LA TRÊVE ? VANADINE LAISSE ENTENDRE QUE LES RUSSES POURRAIENT CÉDER SUR LE PAKISTAN.


Robie, parlant à la fille, disait :

« … Ce nouveau vernis aux nuances absolument sensationnelles, nous l’avons baptisé Sang de Mars. Il est livré avec pulvérisateur et doigtiers protecteurs qui ne laissent apparaître que l’ongle. Donnez-moi cinq dollars (les billets non froissés peuvent être introduits dans les rouleaux que vous voyez sous mon bras) et en cinq secondes…

— Non, merci, Robie, fit la jeune femme, en bâillant.

— Rappelez-vous, insista Robie. Pendant trois semaines encore, Sang de Mars, le vernis de la séduction, ne sera proposé par aucun autre vendeur, robot ou humain.

— Non, merci. »

Robie scruta la foule et commença : « Y a-t-il parmi vous un homme qui voudrait… »

A ce moment, une femme s’ouvrit un passage jusqu’au premier rang, en jouant des coudes.

« Je t’ai dit de revenir ! cria-t-elle à la petite fille.

— Mais je n’ai pas eu de sucette ! » Elle se mit à pleurer : « Robie n’est pas gentil ! »

Pendant ce temps, la jeune femme au boléro avait elle aussi scruté les hommes qui l’entouraient. Estimant qu’il n’y avait pas cinquante chances sur cent que l’un d’entre eux accepte la proposition que Robie paraissait sur le point de faire, elle profita de l’incident pour se perdre gracieusement dans la foule. Une fois de plus, la voie était libre devant Robie.

Il resta cependant immobile pour récapituler rapidement les propriétés magiques de Sang de Mars, sans oublier une description dithyrambique des levers de soleil martiens.

Mais personne ne se porta acheteur. Ce n’était pas encore le moment. Les pièces d’argent ne tarderaient pas à tinter et les billets à glisser dans ses rouleaux. Cinq cents personnes se battraient pour avoir le privilège de se faire prendre leur argent par le premier robot-vendeur mobile d’Amérique.

Mais il y avait encore certains tours que Robie devait effectuer gratuitement. Ils attendaient tous ça avant de mettre la main à la poche.

Robie s’approcha donc du bord du trottoir. Ses antennes inférieures perçurent immédiatement la différence de niveau. Il s’arrêta. Sa tête se mit à pivoter. La foule l’observait dans un silence attentif. C’était le meilleur tour de son numéro.

La tourelle s’immobilisa. Les antennes avaient repéré le signal lumineux. Il était vert. Robie s’avança. Mais le signal passa au rouge. Robie s’arrêta de nouveau, toujours sur le trottoir. Ce fut du délire.

Quelle journée ! Que la vie était belle ! Et il était sensationnel, ce Robie. Qu’on était bien, à respirer cette atmosphère climatisée, entre les lignes verticales des gratte-ciel aux fenêtres scintillantes, et sous un ciel si bleu qu’il en paraissait noir.

Mais là-haut, tout là-haut, caché aux yeux de la foule, le ciel était plus sombre encore. Il était violet foncé et piqueté d’étoiles. Et dans ce ciel, un engin pareil à un bourgeon vert aux reflets argentés fonçait vers la Terre, à une vitesse supérieure à cinq kilomètres/seconde. Cette couleur vert-argent était une peinture récemment découverte, à l’épreuve de la détection par radar.

Robie disait :

« En attendant que le feu passe au vert, les jeunes ont le temps d’avaler un bon verre de Poppy Pop. Et les adultes – attention ! il faut mesurer au moins un mètre cinquante – peuvent déguster un Poppy Pop Fizz bien tassé. Les enfants, donnez-moi vingt-cinq cents, les adultes un dollar de plus. J’ai une licence spéciale pour les boissons alcoolisées. En cinq secondes… »

C’était deux secondes de trop. Car trois secondes plus tard, au-dessus de Manhattan, le bourgeon vert-argenté s’épanouissait en une énorme fleur globulaire de couleur orange. Les gratte-ciel se mirent à étinceler. Ils finirent par prendre l’éclat du magma solaire. Les fenêtres dardaient de blanches fleurs de feu.

La foule qui entourait Robie s’épanouit elle aussi en pétales de flammes. Vêtements et chevelures devinrent autant de torches.

La fleur de feu se mit à grossir démesurément au bout de sa tige. Ce fut l’explosion. Etage après étage, les fenêtres scintillantes volèrent en éclats ; il ne resta plus que des trous noirs. Les murs se fendirent, se tordirent. La poussière tombait en flocons des corniches. Les torches humaines s’affalèrent soudain sur les trottoirs. Robie fut projeté à trois mètres. Sa jupe de métal se gondola, puis reprit sa forme.

L’explosion passée, la fleur orangée, devenue immense, s’évanouit dans le ciel au sommet de son énorme tige. Les ténèbres descendirent ; le calme régna. Il y eut quelques chutes de gravats. Quelques fragments rebondirent sur la jupe de métal.

Robie fit quelques mouvements incertains, comme pour s’assurer qu’il n’avait rien de brisé. Il cherchait le signal lumineux, mais il n’y en avait plus, ni de rouge ni de vert.

Lentement, il scruta les alentours. Les circuits de référence ne détectaient rien nulle part. Pourtant, chaque fois qu’il essayait de se déplacer, ses antennes inférieures lui signalaient des obstacles de faible hauteur. C’était très étrange.

Le silence n’était plus troublé que par des gémissements et des craquements. Les bruits étaient très faibles, à peu près comme si des animaux détalaient dans le lointain.

Un homme tout brûlé, dont les vêtements fumaient encore, se releva sur le trottoir. Robie le scruta.

« Bonjour, monsieur, dit Robie. Voudriez-vous une cigarette ? Une cigarette vraiment rafraîchissante ? J’ai ici une marque qui n’est pas encore sur le marché… »

Mais l’homme s’enfuit en hurlant. Robie ne courait jamais derrière les clients mais il pouvait les suivre en roulant à bonne allure. Il s’avança le long du trottoir en se tenant soigneusement à distance des obstacles dont certains remuaient encore, le forçant à des détours. Il parvint bientôt près d’une bouche d’incendie. Il la scruta. Sa vision électronique, qui fonctionnait encore, n’en avait pas moins été troublée par l’explosion.

« Salut, mon enfant », dit Robie. Après un long silence, il reprit : « Alors, tu n’as plus de langue ? J’ai un petit cadeau pour toi. Une bonne sucette. Allons, prends-la. C’est pour toi, n’aie pas peur. »

Son attention fut attirée par d’autres clients qui commençaient à se lever étrangement à droite et à gauche ; des formes tordues qui ne s’adaptaient pas à ses circuits de référence et qui ne permettaient pas une observation convenable. L’une d’elles cria : « De l’eau », mais aucune pièce ne tinta dans la serre de Robie lorsqu’il eut suggéré : « Et si vous preniez un bon Poppy Pop bien rafraîchissant ? »

Le crépitement des flammes s’était amplifié. Les fenêtres aveugles se remirent à clignoter sous l’effet des flammes.

Une petite fille s’avançait, sautant adroitement par-dessus les bras et les jambes qu’elle ne regardait pas. Sa robe blanche et les corps plus grands qui l’entouraient l’avaient protégée contre la lueur intense de l’explosion. Elle avait le regard fixé sur Robie. Elle manifestait la même confiance autoritaire que tout à l’heure, mais le bonheur n’illuminait plus son visage.

« Aide-moi, Robie, dit-elle. Je veux ma maman.

— Salut, mon enfant. Que désires-tu ? Un illustré ? Des bonbons ?

— Où est maman ? Amène-moi près d’elle.

— Tu veux que je te gonfle un ballon ? »

La petite fille se mit à pleurer. Les sanglots déclenchèrent un des circuits inédits de Robie : un de ses meilleurs atouts publicitaires.

« Il y a quelque chose qui ne va pas ? demanda-t-il. Tu as des ennuis ? Tu es perdue ?

— Oui, conduis-moi à ma maman.

— Ne bouge pas d’ici, dit Robie d’une voix rassurante, et n’aie pas peur, je vais appeler un agent. »

Il émit deux coups de sifflet stridents.

Le temps passa. Robie siffla de nouveau. Les fenêtres vomissaient des flammes avec un bruit grondant. La petite fille le supplia : « Emmène-moi, Robie. » Et elle sauta sur un petit marchepied ménagé dans la jupe de métal.

« Donne-moi dix cents », dit Robie.

La petite fille fouilla dans une de ses poches et lui mit une pièce dans la serre.

« Tu pèses exactement vingt-deux kilos et cinq cents grammes, déclara Robie.

— Avez-vous vu ma fille ? se lamentait une femme. Moi, je me suis précipitée à l’intérieur, mais elle est restée là à regarder. Ah ! Rita, enfin te voilà !

— C’est Robie qui m’a aidée, balbutia l’enfant. Il savait que j’étais perdue. Il a même appelé la police, mais personne n’est venu. Et il m’a pesée. N’est-ce pas, Robie ? »

Mais Robie était déjà parti vendre du Poppy Pop à une équipe de secours qui venait de déboucher au coin de la rue. Les hommes revêtus de combinaisons en amiante ressemblaient davantage à des robots que lui-même sous sa peau de métal.

Traduit par Didier Coupaye.

A hard day for sales.

© Quinn Publishing Corporation, 1954.

© Librairie Générale Française, 1974 pour la traduction.